Les hommes dans la prison
desquels
vacillait la pensée, autre lueur infime sur le point de s’éteindre.
Ollivier attendait dans la cellule voisine qui était vide. Des
petits pas étouffés coururent dans le corridor, frôlant la cellule close de l’agonisant.
Ollivier sourit. La porte fut poussée sans bruit. Ollivier se retourna les
mains tendues.
– Bonsoir, mon petit.
Petit Georges entrait, essoufflé, les pommettes avivées d’un
vague incarnat, la vareuse de droguet flottant autour des épaules plates, fragile
comme un arbuste que brisera la première tempête.
– J’ai bien couru. Dans l’escalier, j’ai eu peur. J’ai
cru que le gaff remontait. Tu parles d’une crise !
Tous les soirs ils se retrouvaient ici, l’homme voûté et l’adolescent
sans avenir ni passé. Ils se parlaient à voix basse. Ils se taisaient ensemble.
L’un racontait la vie dont il savait tout, comme un conte. L’autre écoutait
sans bien comprendre cette voix pénétrante, telle qu’il n’en avait jamais
entendu de pareille. Ils se serraient l’un contre l’autre, dans l’ombre, et se
contemplaient inexprimablement. Ollivier guettait l’instant où les yeux légèrement
obliques de Georget, d’une obscurité d’étang parcouru de reflets, perdaient
toute expression coutumière ; où les lèvres sans couleur n’étaient plus qu’un
double signe dans ce visage offert. La porte glissa.
– Foutez le camp, souffla Ribotte, Perchot vient de
passer.
Le gardien est monté. Il a touché le front de Perchot
froid comme un caillou, et il a dit :
– Bon. Y a rien à faire jusqu’à demain. Pas besoin d’appeler
le docteur… Le certificat de décès est fait depuis hier.
Le profil du gardien, qu’on appelle le Juteux apparaît un
instant, nettement découpé, sur le fond gris de la fenêtre : mâchoire
cocasse, moustache en brosse, visière tombante du képi. Il s’en va. Le mort est
resté les yeux ouverts, transparents et vides comme des luminaires qui attendent
une flamme.
… J’ai bien connu Perchot. J’ai eu peine à le reconnaître
dans ce masque émacié. Depuis longtemps personne n’aurait pu reconnaître en lui
le valet de ferme aux reins puissants qui était entré un dimanche de saoulerie
dans une maison close. Jamais il n’avait pu comprendre depuis ce qui s’était
passé en lui tandis qu’il se couchait sur la femelle passive, indifférente, mais
que l’effroi réveillait à voir larges, dures, embrasées, les prunelles du mâle.
Quand on la lui montra ensuite les seins et le ventre ravagés à coups de
couteau et qu’il vit son couteau de poche rouge jusqu’au manche, retenant à l’anneau
des filaments de chairs, ce fut à peine s’il comprit. « Pourquoi qu’t’as
fait ça ? » lui demandait-on ? Il répondait : « J’sais
pas. J’peux pas encore croire qu’j’ai fait ça. » Rien ne subsistait dans
cette tête osseuse et blanche du mufle charnu de l’autre. Rien ne subsistait
depuis des années, chez ce jeune gars inoffensif, de la brute passionnée qui
avait tué. Perchot payait le crime d’un ancêtre.
33. Les innocents.
Cellule 4. Horta.
Cet octogénaire avait du poil plein le visage et cela
faisait une tête pâle, hirsute, hérissée, aux mâchoires amollies, très lourdes,
tombant sur le cou flasque. Il penchait la tête de côté et regardait du coin de
l’œil en fermant l’œil gauche qu’il avait plus faible. Ainsi, paraissant borgne,
mais pourvu d’un œil énorme, bleu, froid, métallique, il dévisageait les gens
avec haine. Depuis huit ans la prison le tenait, acharné à survivre, déroutant
par son endurance les médecins, les gardiens, les infirmiers, à qui venait
enfin, de cet œil obstiné, une sorte de terreur. Remarié à soixante-dix ans
après une existence de corsaire ballottée entre les palaces de la Riviera et
les cellules de la maison de force de Milan, la légende le montrait pareil à
quelque vieux Borgia, versant dans le thé de sa jeune femme un flacon de poison.
Le crime commis avec une habileté d’artiste demeurait contestable. À la barre des
accusés, Horta secouait sa crinière blanche, invectivait les juges, raillait
amèrement l’accusateur, tendait vers la foule une robuste main de prophète et
criait avec une emphase tragique : « Malheur à vous ! Que mon
sang retombe sur vous ! Je suis innocent ! innocent ! innocent ! »
Les années de prison tombant sur ce vieillard accablé d’une
condamnation perpétuelle, le
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