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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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somnoler car il conduisait depuis quatorze heures.
    Il a été réveillé par le coup de feu. Il est alors descendu. Le général Menninger était affaissé au bord de la route. Le suicide ne fait aucun doute. Les doigts étaient crispés sur la crosse du pistolet. La balle a fait éclater le cœur.
    Il semble que le général ait déplacé le corps d’une femme portant la tenue rayée des camps de travail – matricule tatoué sur le bras gauche 35023 – qui, selon le témoignage du feldwebel, se trouvait au milieu de la chaussée, et qui a été découverte près du général, sur le talus. Il s’agit d’une vieille femme non identifiée, au crâne chauve.

3

LE LABYRINTHE

1953

Sarah Berelovitz l’avait appelée Nathalia parce qu’elle voulait se souvenir de cette route qui montait vers la forêt, du corps de sa mère qu’elle sentait glisser, du bruit des galoches et du fracas proche des détonations, de la neige mêlée à la pluie. Elle regardait Nathalia, cheveux noirs dénoués sur les épaules. Elle se levait, marchait vers elle, l’embrassait, lui caressait les cheveux. Nathalia, assise les jambes croisées, le dos appuyé à un olivier, souriait.
    — Il faudra que je te lave les cheveux, murmurait Sarah.
    Elle les démêlait, pensait aux mèches blanches que sa mère laissait chaque matin derrière elle sur la paillasse du camp. Elle osait se souvenir de ce crâne chauve puisque Nathalia disait :
    — Oui, maman, lave-les-moi, tu me raconteras aussi ?
    Dans la salle de bains, au premier étage du Mas Cordelier, la fenêtre ouverte, les feuilles du platane formant un rideau vert que soulevait en fin de journée le vent, et l’on apercevait alors la roche nue de la falaise, Nathalia se déshabillait rapidement.
    « … Vite, vite, maman, j’ai froid. »
    Elle jouait à grelotter pour se blottir contre Sarah :
    « … Chauffe-moi », répétait-elle.
    Sarah l’enfermait entre ses bras, l’embrassait puis ouvrait le robinet, attendant que Nathalia crie « trop chaud » bondisse, rie. Les cheveux longs, comme une eau ruisselante collée à la peau.
    « … Brûle, disait Nathalia, brûle, maman. »
    Dès qu’elle était entrée dans la baignoire, elle retrouvait le langage élémentaire des jeunes enfants, ces premières phrases qu’elle avait prononcées, si tard que Sarah se demandait si elle parlerait jamais, si ce qu’elle avait vu durant les premiers mois de sa vie, cette peur que Sarah découvrait dans ses yeux enfoncés au creux des cernes noirs, ne l’avait pas enfermée dans le silence, trop de cris rentrés.
    De cela Sarah, dès qu’elle l’avait aperçue dans cet hôpital d’Allemagne où elle s’était rendue, à la fin de l’année 1945, avait eu peur.
    Nathalia était couchée les poings fermés devant sa bouche, les yeux brillants et fixes, le visage d’une vieille, et Sarah s’était détournée, sa mère présente dans ce regard, ces traits d’enfant terrorisé.
    L’infirmière chuchotait :
    « … On l’a recueillie au bord d’une route, on ne sait rien, des réfugiés, des déportés, ce n’est pas une Allemande, enfin on ne croit pas, elle doit avoir un an et demi, comment savoir ? »
    Sarah pleurait en silence, elle se penchait sur le lit, elle embrassait les poings, elle disait pour la première fois : « Tu seras avec moi, Nathalia, je ne te quitterai plus, Nathalia. »
    Elle soulevait l’enfant qui se raidissait, se cambrait, elle commençait à la bercer, la gardant contre elle dans le bureau où le médecin anglais lui présentait le dossier d’adoption.
    « … Je l’appelle Nathalia, disait-elle, elle s’appelle Nathalia. »
    Le médecin regardait Sarah Berelovitz, le front crispé.
    « … Ce ne sera pas facile, disait-il, cette enfant est profondément traumatisée, vous-même – il s’interrompait, reculait son fauteuil, se tournait de manière à voir les arbres – ce que vous avez vécu, reprenait-il, ce qu’elle a vécu et qu’on ne connaîtra jamais, a mis vos sensibilités à vif, à l’une, à l’autre. – Il se levait, s’appuyait au rebord de la fenêtre. – Je ne sais pas si elle a besoin de quelqu’un comme vous, en conscience… »
    L’enfant avait ouvert ses poings et ses deux mains étaient posées sur les épaules de Sarah. De sa main gauche aux doigts écartés, Sarah tenait la tête de la petite fille, sentait sous sa paume la soie des cheveux.
    — Ce sera difficile, Madame, dit le

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