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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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elle découvrait une peau marbrée, la pomme d’Adam saillante, la mâchoire prise dans une armature d’aluminium, et les pommettes qui semblaient à vif tant les joues étaient creuses. Elle s’approchait sans qu’il ouvre les yeux, elle effleurait ses doigts, il lui serrait la main sans parler encore, sans la regarder mais elle savait qu’il l’avait reconnue et ils demeuraient ainsi, silencieux, l’un près de l’autre. Il disait le premier, avec la gorge, l’appareil qu’on avait placé pour soutenir sa mâchoire l’empêchant d’ouvrir normalement la bouche – et sa voix était mutilée comme la confidence de tout ce qu’il avait souffert :
    « … Vivants, Sarah, vous et moi, après tout ça. »
    Elle l’avait embrassé, elle avait dit :
    « … Je veux que tu sois chez nous, je vais le demander, je m’occuperai de toi, je ne veux pas que tu restes ici. »
    Il ouvrait enfin les yeux :
    « … Ils t’ont fait mal », murmurait-il.
    Elle haussait les épaules :
    « … Les autres, tant et tant », commençait-elle.
    Brusquement elle était prise par les sanglots, elle n’aurait pas dû, pour lui, pour sa voix, ses doigts, sa mâchoire, pour les tortures qu’il avait subies, pour le courage qui lui était nécessaire, mais elle était emportée.
    « … Ma mère, reprenait-elle, toutes les autres, je ne croyais pas, je… Vivre encore avec tout ça. »
    Elle se cachait les yeux, pleurait, elle sentait sur sa nuque les doigts de Serge, maladroits.
    « … Il faut le garder en toi, disait-il, mais ne pas se laisser pourrir, alors ils auraient gagné. »
    Il se redressait, s’appuyait sur les coudes :
    — Nous allons vivre à nouveau. Je veux rentrer aussi chez nous, vite.
    Sarah s’était heurtée au refus des médecins. Elle téléphonait à Letel :
    « … Ils ne comprennent rien, rien, des bureaucrates, il a besoin de moi, et moi sans lui je ne peux pas, ils ne vont pas le garder comme s’il était en prison ? Enfin vous êtes son ami, vous imaginez. »
    Letel disait seulement :
    « … J’allais vous appeler, venez me voir au ministère, nous parlerons. »
    Elle s’insurgeait.
    « … C’est très simple », disait-elle.
    « … Venez », répétait Letel.
    Il parlait avec autorité et quand elle le retrouvait dans son bureau, il adoptait le même ton froid et sévère, lui indiquant d’un geste rapide le fauteuil puis il allumait un cigare comme si elle n’existait plus, ne la regardant pas et elle allait se lever quand il disait :
    « … Bien entendu, j’ai fait ce qu’il fallait pour Serge, il sort ce soir du Val-de-Grâce. Il sera chez vous – il s’interrompait, reprenait – chez lui, vers 5 heures. »
    Il consultait sa montre.
    « … Vous voyez, nous avons le temps de bavarder et si vous le voulez, nous pouvons déjeuner ensemble – il la fixait un bref instant – mais peut-être ne le désirez-vous pas. »
    Elle répondait d’un mot glissé entre ses dents :
    « … Effectivement. »
    « … Bien. »
    Letel écrasait son cigare, croisait les doigts, les coudes posés sur le bureau.
    — Je pourrais vous parler, commençait-il, de votre activité au service des Russes. Cordelier était au courant bien sûr. Nous aussi, cela va de soi. Vous avez payé le prix, mais ne jouez plus, ce n’est pas une partition pour vous. Retournez au piano.
    Sarah allumait une cigarette tout en observant Letel. Elle remarquait pour la première fois ces lèvres minces, ce front haut, la lourdeur de la mâchoire, un visage où elle lisait la détermination, l’intelligence pliée à la loi de l’ambition.
    — J’ai beaucoup d’estime pour vous, disait-il. Je sais ce que vous avez vécu là-bas.
    Il prenait une feuille de papier, ne regardait plus Sarah.
    « … Vous avez été mariée, n’est-ce pas ? Après votre divorce, avez-vous revu Charles Weber ? »
    Sarah se levait :
    « … J’ai autre chose à faire, Monsieur, que de parler de Charles Weber. »
    Letel s’approchait d’elle :
    « … Nous l’avons arrêté, disait-il. Il a dénoncé Cordelier à la Gestapo. Je voulais vous en avertir. »
    Sarah faisait face à Letel. Elle revoyait Web au conservatoire, ses cheveux blonds, ses mains fines et blanches, un peu bleutées, l’écharpe de laine rouge vif qu’il portait dénouée sur son costume de velours noir.
    — Jugez-le, disait seulement Sarah.
    Letel se plaçait entre elle et la porte.
    — Bien sûr, bien

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