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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Maréchal, moi, Résistance, le Parti… Elle s’interrompait, répétait – le Parti, mon cher Allen, je suis communiste. »
    Peut-être le vin ou bien la chaleur, la fumée, Gallway l’écoutait comme si elle avait parlé de très loin, ou bien derrière une vitre. Il hochait la tête, semblait approuver ses colères :
    « … Mon père a été abject, reprenait-elle. Un intellectuel a des responsabilités, les mots ça devient du sang pendant une guerre, il a joué avec eux, il faut qu’il paie, Drieu a été le seul honnête, il s’est jugé lui-même et, père ou pas – elle haussait les épaules, prenait un autre cigarillo, fumait, la tête renversée en arrière – cela ne change rien. On ne transige pas avec les principes. »
    Elle restait un moment silencieuse, croisait les bras sur la table, y appuyant le menton :
    « … Je signe mes articles du nom de ma mère, Grave, Catherine Grave, j’aime et je n’engage personne, ni mon père ni mon mari. »
    Gallway souriait, elle tendait sa main vers lui, dans un geste tendre :
    « … Tu as toujours ton atelier, boulevard Raspail ? » demandait-elle.
    Il faisait oui.
    Une nuit de plus. Comme un article de circonstance qu’il faut écrire puisqu’on s’y est engagé, et parce qu’on est déjà un vieux professionnel – ou simplement un vieil homme retors qui connaît trop bien les recettes, le moyen de mettre en mouvement la machine – on joue à s’illusionner, et on rédige avec un apparent enthousiasme qui dupe le temps de l’article, et l’on fait l’amour, parce qu’on sait aussi faire naître le désir. Mais reste vide le cœur.
    — Tu es toujours puritain, disait Catherine en l’embrassant distraitement. Je me dépêche – elle s’était déjà rhabillée – ma fille…
    Gallway était assis à son bureau comme à l’automne 1939. Il avait cinq ans de plus. Les mots, les visages, les émotions arrivaient jusqu’à lui, plus lentement encore, comme s’il était placé au centre d’un espace vide, où la rumeur de la vie s’atténuait d’elle-même, comme au terme de sa trajectoire. Il avait parfois l’impression, alors qu’il entendait fort bien, d’être devenu sourd, surdité de son âme, usée par la répétition.
    — Tu m’entends, Allen, je m’en vais.
    Catherine penchée sur lui. Il se levait, l’embrassait, la suivait du regard cependant qu’elle lançait la phrase rituelle : « On se téléphone, n’est-ce pas ? »
    Catherine avait pourtant un élan, une curiosité qui surprenaient Gallway.
    « … Tu es un écrivain progressiste, tu sais ? Il faudra qu’on discute de tout ça. Pourquoi pas une interview pour les Lettres Françaises ? Je t’appellerai. Le point de vue d’un écrivain américain, comme toi, antinazi, très intéressant pour nous. »
    Antinazi ? Gallway se sentait différent des Français qui classent, droite, gauche, communiste, socialiste. Catherine qu’il revoyait parlant du Parti, du rôle du Parti dans la Résistance, du danger fasciste que représentait De Gaulle. « Il veut concentrer le pouvoir entre ses mains, nous… »
    Nous : un drôle de petit mot qui fascinait Gallway et lui faisait peur, un mot comme un trou noir, on a envie d’y entrer pour savoir et on y tombe, et on s’y perd. Il n’avait jamais pu, jamais su dire nous. Il n’avait même jamais vraiment constitué ce petit parti qu’est un couple. Ni avec Tina ni avec Catherine. Trop tard pour commencer avec une autre ou pour s’engager dans l’une de ces cohortes couronnées de drapeaux et d’emblèmes, parti, association. Même les guerres, d’abord celle d’Espagne, puis l’autre, il les avait vues en solitaire, payé pour être un témoin qui s’expose avec les combattants puis « salut les gars », on ferme son carnet, on remet en place le couvercle de la machine à écrire, on s’en va et l’on boit un verre au bar d’un hôtel de Barcelone ou d’Istanbul pour oublier les soldats du général Lister ou les cavaliers polonais.
    À chaque fois qu’elle rencontrait Gallway, Catherine lui exposait la politique du Parti. De Gaulle se retirait, Churchill condamnait le rideau de fer qui désormais partageait l’Europe en deux. « Anticommunistes tous, disait-elle, conspiration contre l’ URSS , mais nous… »
    Gallway allumait un cigare et le coude posé sur la table du restaurant, il fumait lentement, trempait ses lèvres dans le verre de vin, paraissait

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