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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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fleuves dont Anna ne retenait pas le nom mais dont elle savait qu’ils étaient larges comme une mer. «  Viens, disait Marek, décide Ivan à abandonner son Institut, à choisir lui aussi la Sibérie. Ici tout est vaste, neuf. J’ai l’impression d’avoir plusieurs vies devant moi. J’étudie les mathématiques, j’écris de la poésie en souvenir de ce que je sais de Maria Blumen et parce que j’en éprouve le besoin. Écoute Mama, viens avec Ivan. J’aime toujours Leningrad, mais :
    Je dédie ces vers à Maria Blumen. »
    «  La Sibérie est le pays des dieux antiques
    l’homme ici a des rêves géants. »
    Maria presque oubliée, que chaque instant lui rappelait dans ce jour d’octobre et nouveau signe le plus inattendu le député français, qui, à l’École de danse, récitait ce poème que Maria avait écrit pour Ivan au début de l’année 1942, quand à chaque heure sonnait la mort.
    Mais il avait fallu qu’ils tuent Maria, après, la paix revenue.
    Depuis qu’elle avait quitté l’École de danse, renoncé à prendre un tramway, Anna Spasskaia marchait lentement dans la ville, comme si elle avait voulu se soumettre à l’hiver, sentir le brouillard glacé pénétrer en elle, reconnaître dans cette pénombre hostile, ses souvenirs, la ville du siège, cette mort grise que Maria Blumen n’avait pu refuser.
    Grise la ville, grise la Russie depuis que… Anna connaissait la spirale qui l’emporterait toujours plus loin, jusqu’à ces jours d’avant 1914, quand elle était en robe blanche, assise entre ses parents dans le fiacre qui les ramenait chez eux. « À la maison », disait le père.
    La Révolution avait laissé battantes les portes de toutes les demeures. Il ne restait à chacun que sa mémoire profonde, qu’il fallait enfouir davantage, car ils voulaient aussi y pénétrer, ne tolérer qu’un passé reconstruit selon leurs règles.
    Ivan Machkine, aujourd’hui assistant à l’Institut de Langues, que savait-il de son père ? Il se souvenait seulement du procès Loubanski, dont il n’avait plus jamais parlé, comme si cette scène, Anna Spasskaia en larmes, le nom de Machkine revenant plusieurs fois dans la bouche du procureur, ne s’était pas produite. Il avait pourtant à ce moment-là sept ans et Marek Krivenko, qui avait témoigné contre Kostia Loubanski, semblait lui aussi avoir oublié. La guerre pour eux tous, comme la mer sur le sable. À moins que chacun ici n’eût en lui une plaie, un témoignage extorqué, une dénonciation, une lâcheté, un vol, ou simplement la peur et le silence qu’elle dictait, et qu’ils nous tiennent tous grâce à cette maladie, la honte en soi. À cela, la mort de Staline ne pouvait rien changer. Marek – Anna Spasskaia sentait sa lettre dans la poche de son manteau – s’illusionnait. Mais il était obstinément plein de foi.
    Quand il était revenu de la guerre en 1945, la tête rasée, le visage maigre, les yeux brillants de fatigue, des décorations plein la poitrine, il avait montré ses mains à Anna. Maria Blumen, discrète, lui rappelait comment il était arrivé un jour, à l’improviste, avec ses yeux neufs.
    « … Tu es l’enfant des bonnes surprises », disait Maria.
    Marek riait, faisait sauter du bout des doigts ses décorations :
    « … Des jouets pour un homme ça, pas pour un enfant. »
    Il avait tout à coup fermé les yeux, serré les poings :
    « … La guerre plus jamais, avait-il dit. Je veux construire. »
    Anna l’écoutait, servait le thé. L’envie de vivre de Marek la bousculait.
    « … Je serai ingénieur, martelait-il. Et toi ? » Il donnait une bourrade à Ivan.
    Ivan avait les cheveux blonds presque bouclés, un regard doux, ses lunettes rondes glissaient et d’un mouvement timide il les replaçait comme s’il avait hésité à se donner un regard précis.
    « … Ivan est un excellent étudiant », disait Anna.
    « … Nous avons fait la guerre pour toi, ajoutait Marek – à toi de te battre maintenant. »
    Marek avait été démobilisé en Sibérie où l’on avait besoin d’hommes jeunes. Il écrivait rarement, annonçait qu’il avait obtenu son diplôme d’ingénieur, puis le silence jusqu’à ce que, un soir, il frappe à la porte, le visage creusé de rides déjà, la peau mangée par le soleil et le froid. Il présentait une jeune femme :
    « … Mama, c’est Zoia, mon épouse. »
    Elle était médecin, timide, des yeux allongés, des tresses

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