Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
noires sur les oreilles.
    « … Et Maria Blumen ? » demandait Marek.
    Anna avait baissé la voix, ouvert puis refermé la porte, raconté comment ils étaient venus la prendre, comment elle était morte. Marek d’abord silencieux, puis se tournant vers Ivan qui s’était placé le dos à la porte, paraissant ne pas entendre :
    « … Toi l’intellectuel, qu’est-ce que tu penses ? »
    Ivan avait haussé les épaules.
    « … Tu ne penses rien ? »
    « … Il faudrait connaître le dossier, disait Ivan, alors on pourrait juger. »
    Marek avait eu un geste de colère :
    « … Ils couvrent tout de boue, avait-il dit, ils nous obligent à marcher dans la boue. – Après une hésitation il avait ajouté : Je me souviens, dans mon village, quand je me suis enfui, que j’ai pris ce train… »
    Mais il s’était interrompu, regardant Anna, se levant, la serrant contre lui :
    « … Mama, comme ça je suis venu chez toi, l’histoire est un grand labyrinthe, elle nous pousse les uns contre les autres. »
    Il avait attiré Zoia près de lui.
    « … La Sibérie, avait-il dit, c’est là qu’il y a le moins de boue. La terre est boueuse oui, en été elle monte jusqu’aux genoux, mais une bonne boue, une bonne terre, ici – il avait une grimace de dégoût – vous avez des rues, des quais bien propres, seulement la boue remplit la tête des gens. »
    Il était reparti avec Zoia et ce matin cette lettre, la première depuis plus d’un an, où il invitait Anna et Ivan à le rejoindre, pour connaître cette petite fille qui venait de naître et à laquelle Zoia et lui, en souvenir de Maria Blumen, avait donné le prénom de Maria. «  Maria Krivenko pèse trois kilos, écrivait Marek. Elle a la tête ronde comme une pomme, pas de cheveux, mais Zoia affirme que c’est normal. Elle crie toute la nuit à déchirer les oreilles, je te l’ai dit, Mama, tout est plus grand ici, le froid, la vie. »
    Anna était arrivée devant chez elle. Cette année, ils n’avaient pas encore accroché aux façades de portrait de Staline, seulement les visages des vieux dieux. Il faudrait pourtant dans quelques jours se rassembler dans les rues, agiter la main devant les tribunes. Anna se souvint de ce défilé d’autrefois, le 1 er  mai, le piano placé sur un camion, son père debout dans la cour de l’usine Ogirov, ironique, de Machkine penché sur elle, ses mains sur les épaules d’Anna : « Joue camarade, joue », disait-il. Machkine, Kostia, Maria Blumen, père, mère, autour d’elle que de visages effacés auxquels elle n’avait plus pensé, parce qu’il faut bien continuer de vivre, qu’il y avait Ivan, Marek, les élèves de la classe de piano, l’âme claire comme leurs cheveux blonds.
    Mais ce jour d’octobre, différent depuis le matin, jalonné d’appels venus du passé.
    Anna frissonna. Elle se connaissait. Elle allait se blottir dans le lit, la tête sous les couvertures pour essayer de chasser le froid, d’étouffer l’angoisse. Si elle avait eu un piano chez elle, elle aurait joué jusqu’à ce que ses mains soient engourdies, sa tête pleine de musique, mais dans l’appartement qu’elle partageait, elle ne disposait, depuis qu’Ivan habitait l’université, que d’une chambre et de quelques meubles. Quand elle réclamait, on lui répondait, reconstruction, plan. Et elle avait renoncé.
    Elle traversait la cour, le gardien ouvrant la porte pour la regarder passer, faisant un signe qu’elle ne comprenait pas. Il haussait les épaules. La minuterie comme à l’accoutumée ne fonctionnait pas. Elle monta l’escalier à tâtons, s’arrêtant à chaque palier, fatiguée par le long trajet qu’elle avait accompli depuis l’École de danse.
    Devant sa porte, un homme était assis, comme autrefois Marek, le 1 er  mai 1940. Il avait posé la tête sur les genoux. Il paraissait dormir. Elle fut contrainte de le contourner pour placer la clé dans la serrure. Quand elle alluma la lumière du couloir de l’appartement, il sursauta, se leva. Il était grand, maigre, des épaules qu’on devinait larges sous la veste molletonnée. Le visage était étrange, les cheveux blancs, rasés, l’absence de sourcils et de cils, des yeux à vif, la peau marquée de petites rides courtes et profondes. Il sembla à Anna qu’elle était à nouveau au temps du siège, au plus sinistre de l’hiver 1941, quand les hommes avaient ce même regard intense, comme l’éclat d’une

Weitere Kostenlose Bücher