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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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antiques
    L’homme ici a des rêves géants
    Les Géants et les Dieux. Il avait fallu sept mois pour que, à partir de ces deux vers, le titre de Gallway germe. Catherine lui avait parlé avec tant de conviction du livre de Krivenko :
    — D’habitude, disait-elle, les livres en anglais, je renonce, mais celui-là, je ne sais pas, je comprenais tout, sans dictionnaire, passionnant ; terrible, Allen, ce qu’ils ont vécu et nous ne savions rien.
    — Vous ne vouliez pas savoir, Catherine.
    Elle haussait les épaules nerveusement.
    — Vous croyez que je ne me le dis pas ? Que je ne me souviens pas ?
    Elle parlait très fort, s’interrompait seulement pour boire. Gallway lui remplissait le verre à demi, il n’aimait pas, il n’aimait plus la voir dériver. Quand elle était plus jeune, dans les années où ils étaient encore amants ; il y a dix ans déjà, 48-50, précisément ces années où on parlait des camps soviétiques, quand il y avait eu ce grand procès contre Les Lettres Françaises, l’écrivain David Rousset accumulant les preuves, démontrant que le système concentrationnaire étendait sa toile sur toute l’ URSS et Les Lettres Françaises accusant Rousset d’être un faussaire, un grand procès emporté avec les souvenirs, en ce temps-là, Gallway aimait encore que Catherine boive, elle devenait gaie. « Je suis fofolle », disait-elle en pouffant, son corps souvent raide et lourd paraissait s’affiner, elle avait des mouvements de bras et des mains – les coudes posés sur la table – alanguis, une manière affectée de pencher la tête, les yeux mi-clos, de s’étirer, qui était provocante, impudique.
    Mais les années.
    Quand elle buvait maintenant, son visage enflait, rouge, elle ne riait plus mais s’irritait et Gallway lui retirait parfois son verre. « … Attendez que nous commencions à dîner, Catherine. »
    Elle s’insurgeait.
    « … Vous ne savez pas ce que c’est que bien vivre, Gallway. Versez-moi à boire immédiatement. »
    Il regrettait sa phrase, repoussait le verre vers l’assiette de Catherine.
    — D’ailleurs, disait-elle en se servant elle-même, croyez-vous vraiment qu’il faille garder les idées claires ? Vraiment, Gallway ? Pour voir quoi ? Ses rides ? Se souvenir qu’on a plus de quarante ans ? C’est vous qui êtes fou, Allen.
    Elle allumait une cigarette, chipotait, buvait encore, l’amertume dans le regard, dans le demi-sourire.
    — Vous aimez rester debout les pieds nus sur le fil du rasoir, murmurait-elle, ça vous enchante au fond, de savoir que le temps passe, que vous allez mourir. Dites-moi, quel plaisir éprouvez-vous à être lucide ? Vous êtes quoi, masochiste ? C’est très porté chez les intellectuels européens, je vous croyais différent. Ou alors vous êtes un mystique. Je me trompe ?
    Le désespoir d’après boire était apparu chez Catherine à la quarantaine, quand les paupières gonflent, que le bas du visage s’alourdit et que le matin, quand on est encore en chemise de nuit devant la glace, on se sent « pâteuse » comme on dit, la bouche bien sûr, mais aussi la taille, les seins, tout le corps. Catherine racontait cela à Gallway, et il aimait sa franchise. Il lui prenait la main :
    — Vous êtes toujours la même, Catherine, vous…
    Il s’interrompait. Elle le regardait avec une expression de tristesse.
    — Pourquoi me mentez-vous, Allen ? Vous mentez si mal. Vous aussi vous êtes vieux, vous le savez mais moi, ma fille me…
    Emmanuelle Tomi, quinze ans l’année où les tanks russes écrasaient la révolution hongroise, l’année où Khrouchtchev arrachait le masque du bon Staline et montrait du doigt au monde un tyran capricieux et paranoïaque, 1956, année de la quarantaine de Catherine.
    — Ma fille, disait-elle, quand je la regarde, Allen, je ne peux plus me faire d’illusions. Parfois, je la hais d’être là avec ses petits seins. Elle est belle, Allen. – Catherine baissait la voix. – Vous savez, mon premier mouvement quand elle se met une robe qui lui va bien, c’est la colère, je l’engueule : « Tu ne vas pas sortir avec ça sur le dos, c’est comme si tu étais nue. » J’ai tout de suite honte, je l’embrasse mais souvent c’est trop tard, elle m’en veut. Elle a raison, Allen, je suis odieuse, je ne supporte plus rien, tout ce qui arrive…
    Ces désillusions, les crimes de Staline, les Hongrois, le Parti, tout ce à quoi Catherine avait

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