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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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démarche, comme un souvenir physique des temps fraternels de l’enfance, quand Allen marchait aux côtés de son frère, l’aîné. Un aîné de trois dizaines d’années, c’était lui maintenant.
    — Cette Europe, alors Jorge ? Moi, je ne peux plus m’en passer.
    Jorge buvait son café rapidement, parlait avec enthousiasme. Attachant. La vivacité de Tina, son énergie. De moi qu’a-t-il ? Gallway guettait Jorge, cherchant à se reconnaître. Mais Jorge était brun – comme Tina ou comme Bowler. La taille, la démarche oui, certaines attitudes, ses mains qu’il plaçait à nouveau devant les lèvres.
    — Voilà, disait Jorge – il hésitait – pour déjeuner, j’ai oublié, j’ai un ami qui…
    Gallway secouait la tête :
    — Aucune importance, aucune.
    Jorge regardait sa montre.
    — Allez-y, allez-y. Vous quittez Paris quand ?
    Jorge partait le soir même pour Athènes. Adieu Jorge.
    Il se levait les paumes appuyées à la table, les mains fines, aux doigts longs, les mains de Tina. Il restait un moment ainsi, penché, ne regardant pas Gallway.
    — J’ai lu vos livres, disait-il d’un trait, tous vos livres, je les aime beaucoup, surtout La Maison ouverte et Le Village espagnol.
    Jorge s’éloignait les mains dans le dos, la tête levée.
    Allen allumait rapidement une cigarette, besoin de ces gestes, de la fumée devant les yeux, pour contrôler l’émotion, oublier par le retour aux habitudes, cette dernière petite phrase de Jorge, les deux livres qu’il avait cités, ceux où se reflétaient les jours passés avec Tina.
    La rencontre avec Jorge avait duré à peine plus d’une heure mais quand Gallway le vit disparaître – sa silhouette quelques minutes, la tête dépassant de la foule, puis sa course à grandes enjambées pour traverser le boulevard et Gallway se dressait à la terrasse du café pour essayer de l’apercevoir encore, avec le désir de le héler – il sut qu’il ne colmaterait plus la brèche. Une plaie qu’il s’était longtemps dissimulée et qui allait battre jour après jour. Il suffirait d’un adolescent croisé, ou bien d’un coup de sonnette inattendu le matin pour qu’il se souvienne ou espère.
    Se jeter au travail alors. Se contraindre à cimenter une phrase par l’autre, à s’étayer à coups de mots, de pages, d’heures passées à creuser ce tunnel chaque matin, un livre, mais l’évasion n’était pas au bout dans la besogne de taupe.
    Jours, mois, lignes recommencées, feuilles entassées, jusqu’à ce 17 mai 1959, Tina rencontrée, qui annonçait son départ, celui de Jorge pour son premier reportage, les quelques mots que Gallway avait écrits au bas de son texte, Il n’est pas mon fils vraiment. S’en persuader à tout prix. Sinon, que restait-il ? Qu’à réussir ce que Gallway avait raté des années auparavant, sur la terrasse de la villa de Mackievicz à Beverly Hills, ce sommeil dont on l’avait tiré et avait commencé le voyage avec Jorge et Tina, Jorge endormi dans la voiture cependant que se déroulaient de part et d’autre de la route, sous le ciel rouge, les plaines bistre de l’Ouest.
    Ne pas céder, pas encore.
    Rentrant chez lui après avoir vu Catherine, Gallway s’étendit, commença à feuilleter le livre qu’elle lui avait remis. Il fut pris par le battement des mots. Un écrivain ce Marek Krivenko. Il racontait comment, une nuit d’été en Sibérie, alors qu’il travaillait dans la lueur incandescente des projecteurs, les tubulures et les barres d’acier comme des arbres dressés sur le ciel, il avait brusquement été saisi par le froid. Glace intérieure. Sensation qu’à ne pas dire ce qu’il avait vécu, il trahissait tous ces hommes qui travaillaient à ses côtés. Que son silence était la faille dans le mur. Qu’il lui fallait raconter.
    Le livre de Krivenko n’était pas un roman. L’éditeur anglais, sans doute par souci commercial, avait détourné le sens de cette œuvre : un témoignage. On y voyait se lever l’incendie dans les plaines à blé de la Russie d’Europe, durant les années 30, on y entendait la voix du procureur des grands procès. Marek Krivenko y avait témoigné contre Kostia Loubanski, celui qui l’avait recueilli. Mon foulard rouge de Komsomol était ma laisse, écrivait-il. Puis la guerre. L’oubli. Le désir d’effacer, de construire, mais une lettre arrivait : un homme était de retour, Machkine, silencieux.
    Marek Krivenko l’avait

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