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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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la politique, se font élire. »
    Cordelier distrait, le regard attiré par d’autres invités, répondait :
    « … Vous autres Américains, vous voulez une France faible, soumise, et ce ne sera plus le cas avec De Gaulle, avec nous… »
    Que dire à un homme qui ne s’interroge plus sur les mots qu’il prononce ? L’abandonner à ses certitudes.
    Gallway n’avait plus revu Cordelier jusqu’à cette soirée du 17 mai.
    Il avait regardé les voitures officielles prendre le boulevard, vers la Seine, puis il s’était dirigé vers son atelier, à pas si lents qu’une prostituée l’invitait à la suivre depuis le bord du trottoir opposé, silhouette brune, jeune à ce qu’il semblait dans la lumière bleuâtre du boulevard. Gallway avait hésité. Ne pas se retrouver seul. La porte de son appartement refermée, trop souvent il n’avait qu’une envie quelle que soit l’heure de la nuit, ressortir, pour ne pas penser à ces années passées comme des nuages qui glissent à l’horizon, aux occasions perdues, à Barcelone, quand Tina assise sur le lit… À la vie qui avait alors un goût de poivre. Elle était fade maintenant. Il fallait pourtant s’accrocher, aux mots, au travail, et Gallway se déshabillait dès qu’il était rentré chez lui, pour opposer à son désir de fuite dans la rue, les gestes qu’il faudrait faire, passer la chemise, nouer les lacets, compter sur la paresse pour s’obliger à se coucher.
    Le sommeil lent à venir, les questions, le tourniquet des jours passés, celui où Jorge avait sonné à l’atelier, il y a deux ans à peine.
    Bowler venait de mourir, c’était tôt le matin, ce moment où Gallway travaillait déjà à ce roman, coup de sonnette, ce jeune homme brun, les cheveux coupés très court, un blouson de toile blanche, des chaussures de tennis, le doigt qu’il passait sur ses lèvres, un geste que reconnaissait Gallway, un geste à lui, le refus d’admettre qu’il s’agissait de Jorge, le ton agressif qu’avait pris Allen pour l’interroger en français alors qu’il était sûr qu’il s’agissait d’un Américain :
    « … Vous voulez quoi ? Vous cherchez qui ? »
    La porte à peine entrebâillée :
    « … Bowler », il répétait seulement ce nom, « Bowler ». Il avait les yeux de Tina, gris.
    L’envie de le prendre dans les bras.
    Gallway ouvrait la porte, tournait le dos à Jorge, lui lançait « Come in, Come in », lui demandait de refermer la porte, s’asseyait à son bureau. Là Gallway était à l’abri, les avant-bras de part et d’autre de la machine, les deux lampes à abat-jour d’opaline verte à hauteur de ses yeux, la machine à écrire comme un bouclier.
    Jorge s’était avancé dans l’atelier, regardant autour de lui. Il était grand, efflanqué. La mesure des années brutalement. Gallway s’était souvenu de ce que Catherine expliquait de ses rapports avec Emmanuelle, Jorge était passé du bébé joufflu qu’il avait vu aux États-Unis, la seule période – avait-elle vraiment existé ? – de vie commune, Tina à ses côtés toutes les heures ; puis à Paris, quand Jorge était venu dans cet atelier, s’asseyant sur les marches, le visage encore rond, et maintenant cet adolescent qui ne savait pas comment occuper ses bras, qui se grattait le front, la nuque, émouvant à force de maladresse dans les gestes.
    — Ma mère, commençait Jorge.
    Il avait imaginé, Gallway – vrai, faux – une voix se perd si vite – reconnaître l’accent de Bowler, celui presque britannique, des gens de Boston.
    — Je passe par Paris, reprenait Jorge. Je fais un tour d’Europe – il accompagnait sa phrase d’une rotation du doigt – ma mère, puisque vous connaissiez mon père depuis longtemps…
    Une situation de tragi-comédie bourgeoise, le faux père, le vrai père, le fils, etc. Il ne manquait qu’une réplique de Gallway, « viens mon enfant, viens dans mes bras » et quelques pleurs.
    Gallway se sentit sale, comme s’il était couvert d’une sueur poussiéreuse.
    — Je dois beaucoup à Richard Bowler, dit-il. Il a publié mon premier texte…
    Gallway s’interrompait :
    — Je vais faire un café, disait-il, puis il se ravisait – on va prendre un café dehors, et on déjeunera ensemble.
    La rue, les passants, les bruits, l’espace autour de Gallway pour le protéger de l’intimité avec Jorge.
    Ils étaient de la même taille, une complicité d’épaules et de

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