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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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qu’ils étaient dans un restaurant. Il prenait une bouchée, mâchait, reposait la fourchette.
    — Votre mère ? demandait-il à nouveau.
    — Savez-vous pourquoi je m’appelle Julia ? commençait-elle. Ma mère avait choisi mon prénom en souvenir de Giulio Bertolini.
    Il lui prenait la main.
    — Un autre jour, disait-il, si nous nous rencontrons encore, je vous expliquerai comment les vies se croisent. Rares sont ceux qui en ont conscience. – Gallway secouait la tête. – On veut rester ignorant, c’est plus commode, sinon, si l’on comprend, si l’on a l’intuition qu’il y a ailleurs quelque chose qui nous guide – il avait un geste de dénégation – je ne dis pas Dieu nécessairement, mais peut-être une énergie, des personnes qui s’attirent vont de l’une à l’autre comme des électrons, qui se collent un moment par couple, positif, négatif. Ou bien vous savez les oiseaux migrateurs, ces grands vols que les saisons chassent d’un bout à l’autre des continents, à leur naissance les oisillons sont encore aveugles, mais ils connaissent leur route. Nous sommes des oiseaux migrateurs, Julia – il s’interrompait, comme s’il avait craint d’avoir utilisé son prénom – nous allons suivant les saisons vers telle ou telle vie, nous savons où nous allons, mais c’est un savoir caché, que nous nous employons à masquer. Nous fuyons la connaissance, nous la refusons.
    Il se recula, s’appuyant au dossier de sa chaise.
    — Excusez-moi, dit-il encore. Il lâchait sa main, ajoutait comme pour s’excuser : « Je voudrais rendre cela vivant dans le roman que j’écris et c’est pourquoi je divague un peu. »
    Ils mangèrent en silence, commandèrent un dessert, se turent à nouveau.
    — Le jour, reprit Julia, où le père Tieng est venu me parler de Giulio Bertolini, ma mère a disparu.
    Elle s’exprimait avec calme alors que le coup de téléphone de son père au milieu de la nuit l’avait affolée. Elle réveillait Rafael pour le tenir contre elle, comme s’il allait disparaître aussi.
    James Clerkwood, la voix étouffée, expliquait qu’il avait attendu avant de téléphoner : « Ta mère, depuis quelques jours, j’avais le sentiment que cela n’allait pas. Elle n’aime pas Boston, je lui ai proposé de retourner vivre à Londres, près de toi, mais Ronald est ici. Elle était déchirée, dépressive, et voilà, elle n’est pas rentrée, la police a commencé les recherches, on ne sait pas, elle n’a pas pris la voiture. Je t’embrasse, ma chérie, je t’embrasse. Je te rappellerai. »
    Ralph avait tenté de rassurer Julia. Il raisonnait.
    — Votre mère, Julia, il y a plusieurs hypothèses…
    Une seule que Julia sentait, voyait : la mort à gueule de chien.
    Quelques jours étaient passés, longs, poisseux avec le brouillard sur Londres, dans les pores de la ville et dans les yeux. Julia avait du mal à obtenir Boston, où son père paraissait désemparé, malgré la présence de Ronald.
    « Le jour de Noël – Noël répétait Julia – j’avais malgré tout, comme le faisait ma mère quand j’étais enfant, installé une crèche pour Rafael… » Un télégramme de La Paz, de l’hôpital. « Dolorès Clerkwood état grave demande présence Julia Clerkwood-Scott. »
    Ralph organisait le voyage, une correspondance à Washington pour Caracas, de là un vol pour…
    — Voulez-vous que je vous accompagne ? répétait-il.
    Julia refusait.
    — C’est moi, disait-elle, c’est moi qui dois, seule. Restez avec Rafael.
    Un vol épuisant, le jour, la nuit, des soleils qui paraissaient osciller sur un horizon courbe, le froid puis la moiteur puis cet air des rues de La Paz, coupant le souffle à ras de gorge.
    — Elle avait le visage comme tiré à l’intérieur, je ne peux pas dire autrement, expliquait Julia à Gallway. La peau était tendue, presque transparente. Elle m’a reconnue dès que je suis entrée dans la chambre. Elle me parlait avec les yeux. La chambre, l’hôpital, sordides. Ralph avait télégraphié à l’ambassade britannique. Ils m’ont aidée…
    Julia sentait bien qu’elle fuyait les souvenirs, qu’elle préférait parler des infirmières dévouées mais incapables, des cafards qu’elle avait vus sous le lit, des gouttelettes d’eau qui suintaient sur les murs, du plafond craquelé. Elle n’osait pas revivre ces nuits – car ce ne furent que des nuits puisque les volets restaient

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