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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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mesurés. « À Berlin, à l’ambassade…» James riait, n’ignorait rien du mépris de Miss Altman pour son grade de Consul de deuxième classe, pour Dolorès. « Mais vous n’avez jamais vraiment appris l’anglais. » « Non, Miss Altman, je suis une Inca », répondait Dolorès. James riait plus fort, s’interrompant quand le domestique allemand, Ehrardt, entrait dans la pièce, annonçait que le café était servi au salon.
    « Je suis marié à une sauvage », murmurait James en prenant Dolorès par la taille. Cependant qu’ils s’asseyaient face aux portes-fenêtres, ils apercevaient le bassin, les écluses des canaux et, enveloppés de brume, les arbres de l’île d’Alterlust. Ils attendaient qu’Ehrardt vienne annoncer d’un ton solennel qu’il se retirait « si Madame et Monsieur le Consul…» pour se rapprocher l’un de l’autre, Dolorès s’allongeant parfois sur le divan, la tête posée sur les cuisses de James, fermant les yeux. James lui caressait les seins, mais elle immobilisait sa main, et d’un mouvement de tête, d’un mot à peine esquissé elle lui demandait de rester ainsi, immobile, ensemble, afin qu’elle se souvienne, qu’elle rêve.
    Mais souvent, elle bondissait, courait jusqu’à la chambre de Julia, sûre d’avoir entendu un bruit. Elle poussait la porte qu’elle laissait toujours entrouverte, s’asseyait auprès du lit de sa fille endormie. Elle oubliait Hambourg, James, la jeune Allemande – Monica – qui était chargée de veiller sur Julia… Mais Monica entrait, chuchotait dans son anglais hésitant : « Qu’est-ce qu’il y a Madame, la petite ?…» Dolorès lui faisait signe de sortir et comme Monica hésitait, elle la raccompagnait jusqu’à la porte, la tenant par le poignet : « Rien, j’ai cru entendre, je vais rester un moment, dormez Monica, dormez…» Elle voulait être seule près du lit. La veilleuse éclairait le visage de Julia. Dolorès s’appuyait au lit, elle regardait les cheveux noirs et lisses de sa fille, ce visage large au nez légèrement épaté, aux pommettes marquées, il lui semblait qu’elle entrait dans le corps de sa fille, que celui-ci la mettait au monde, qu’elles étaient l’une et l’autre, l’une par l’autre, fille et mère. Il suffisait d’un mouvement de Julia, son bras qui se levait, la main qu’elle portait à sa bouche, dans son sommeil, pour que Dolorès sache qu’elle avait eu, jadis, le même geste. Elle riait silencieusement, touchant sa bouche, mimant sa fille, façon de retrouver une mémoire perdue. Elle se levait, faisait quelques pas dans la chambre, bouleversée par ce qu’elle découvrait : combien lui avait manqué une mère. Quand James Clerkwood entrait, essayait de la convaincre de quitter la chambre, Dolorès se dégageait, secouait la tête, « non, non, murmurait-elle, va, va ». Elle resterait là, avec Julia, parce que même dans le sommeil celle-ci avait besoin d’elle.
    James parti, seule enfin, Dolorès plaçait un fauteuil près de la tête du lit, s’y installait, les jambes enveloppées par une couverture, une main posée près du visage de Julia. Il lui semblait que des pans entiers de sa vie s’étaient effondrés, années-poussières, le collège de Buenos Aires, les trois premières années de mariage, ce séjour à Paris. Elle avait lu, et de ces années-là, ne restaient que les personnages des romans, les journées effacées, les nuits devenues habitudes, James qui s’approchait, sa main qui dessinait le corps de Dolorès, hésitait jusqu’à ce que Dolorès fasse un mouvement vers lui. James alors lui prenait la taille, sa respiration devenait plus ample, il parlait, riait et Dolorès était heureuse de lui donner cette joie brève. Elle s’étonnait de sa reconnaissance. « Dolorès, ma chérie, ma chérie. » Il plaçait son visage dans les cheveux de Dolorès, entre le menton et l’épaule, il restait sur elle et elle aimait ce poids fraternel qui brisait la solitude, la rassurait. Elle s’étonnait du pouvoir qu’elle avait de faire le bonheur de James. Elle lui entourait le cou, lui caressait le dos, et elle le sentait tressaillir, se pelotonner contre elle. Souvent au cours d’un dîner, quand elle surprenait l’une de ses phrases : « Il faut comprendre Monsieur le Ministre, le point de vue des États-Unis, notre Président d’ailleurs…», quand elle voyait James si compassé, elle s’efforçait de faire coïncider l’homme

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