Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
nouveau.
    — Wiesel m’avait dit que vous aviez un sale caractère.
    Kostia parlait en français, et obligé de chercher ses mots, il se sentait gêné devant cette femme dont le dossier du Komintern et du N.K.V.D . lui avait révélé la vie mais qu’il ne connaissait pas.
    — Je sais ce que je fais, dit Sarah. Pas de mots inutiles, voulez-vous ?
    — Bien, dit Kostia… bien. Vous rentrez à Paris demain, n’est-ce pas ?
    Sarah écoutait maintenant Kostia Loubanski avec attention. Mais une partie seulement de son esprit était concernée. Elle était comme parfois certains soirs de concert, quand le public ou le chef d’orchestre lui était indifférent ou bien que la journée avait été désagréable créant en elle cet état d’absence aux choses qui se prolongeait sur la scène. Ses mains, sans qu’elle eût à les guider, effleuraient les touches ; elle suivait, sans le voir pourtant, les indications du chef d’orchestre. Ces soirs-là, quelquefois, le concert achevé, on l’assurait qu’elle n’avait jamais été aussi parfaitement maîtresse de son art alors qu’il lui semblait qu’elle n’avait même pas joué, son corps et sa mémoire, sa pensée, sa rêverie, si loin en d’autres lieux, d’autres années.
    Kostia Loubanski lui parlait Oberwallstrasse.
    — À Paris, par Serge Cordelier, nous devons, vous devez essayer de savoir quelles sont les intentions du gouvernement français, vous êtes proche, n’est-ce pas, de Serge Cordelier ?
    Répondait-elle à Kostia ? Sans doute puisqu’il reprenait.
    — Dans la situation actuelle, sa présence dans un ministère est pour nous très précieuse, nous avons besoin d’informations, c’est de la guerre qu’il est question, vous comprenez ? Pouvez-vous l’influencer ? Le convaincre ?
    Cela faisait près de dix ans que Serge Cordelier et Sarah Berelovitz vivaient ensemble, à leur manière, Sarah souvent absente, Serge que des missions à l’étranger contraignaient à quitter Paris. Mais ils se retrouvaient comme si le temps n’avait sur eux aucune prise. Ils savaient qu’ils étaient l’un pour l’autre l’étoile fixe, vers qui l’on va. Cela, Sarah l’avait compris quand elle avait répondu à la lettre de Serge, alors encore à Essen : «  À votre passage à Paris, téléphonez-moi. Je vous verrai avec curiosité. »
    Elle avait laissé ce mot « curiosité », elle y avait pensé en attendant Serge Cordelier dans le café qui, rue de Médicis, fait face au Luxembourg. Elle le guettait mais il la surprenait, s’asseyant près d’elle sans qu’elle l’ait vu arriver. Elle le reconnaissait immédiatement, la vivacité du regard, ses cheveux bouclés, cette vigueur trapue du corps.
    — Je suis en retard, dit-il.
    Elle ne put répondre, se mit à rire.
    — Nous sommes en retard, vous et moi, de quelques années, dit-elle.
    Ils rirent ensemble.
    — Racontez-moi, dit-il, racontez-moi.
    Ils s’étaient à peine vus, à des années de distance, et voici que ce temps écoulé dans l’ignorance de ce qu’ils avaient vécu l’un et l’autre, les rapprochait comme une intimité partagée. S’ils se retrouvaient, n’était-ce pas que leurs rencontres étaient préfaces ? Sarah s’était interrompue, tout à coup songeuse.
    — Curieux, dit-elle, que nous nous retrouvions ainsi, pourquoi ai-je accepté de vous revoir ?
    — Je vous ai écrit, dit Serge.
    — Tout cela n’a aucun sens.
    Sarah se mit à nouveau à rire.
    — Si nous marchions, dit-elle en se levant.
    Mois de janvier 1924, le 7, un mardi, une brise aigrelette et le Luxembourg désert, les coups de sifflet des gardiens qui annonçaient la fermeture des grilles.
    — Je me souviens, dit Serge, ma mère et moi, nous craignions toujours d’être surpris par la nuit, oubliés dans le jardin. Nous courions, elle avait très peur et nous ne nous arrêtions que lorsque nous apercevions le portail encore entrouvert, je me dégageais d’elle, je passais le premier et j’étais terrorisé à l’idée qu’on allait la garder, elle.
    Sarah avait croisé ses doigts sous le manchon de fourrure, elle se frottait les paumes l’une contre l’autre.
    — Je ne vous ai pas parlé de Web, dit-elle, Charles Weber. Vous savez que je me suis mariée ? Il m’attendait ici, il s’asseyait sur un banc, il…
    Elle se but, ajouta simplement :
    — Nous avons divorcé.
    Serge prit son bras.
    — Difficile, dit-il, de vivre à deux. Moi, je…
    Il

Weitere Kostenlose Bücher