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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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anglaise, la visite de Guillaume II à Tanger, l’hostilité du clergé à la République, celle des officiers « menaçante, expliquait Pierre Rudin un journaliste, savez-vous qu’à Courbevoie on a découvert dans une maison isolée cinq cents uniformes de l’infanterie coloniale et des cartouches ? Et naturellement la maison avait été louée par un officier aux origines douteuses, un capitaine Tamburini ». Tournier et Jacquet ne partageaient pas ses craintes, le professeur Masseron haussait le ton : « La physique, Messieurs les politiciens, va rendre la guerre très improbable, comptez sur notre Académie des sciences et, plutôt que sur les diplomates ou les internationales de socialistes, sur la grande famille des savants, n’est-ce pas, Cordelier ? Vous vous souvenez de Rudolf Menninger, un Allemand, nous entretenions les meilleures relations. »
    « Très bien, très bien, Monsieur le Professeur, – c’était Jacquet – mais si Combes démissionne demain comme il en a l’intention…» Brouhaha. Lucia retraversait le salon.
    Ridicules. À Rome, chez son père, il y avait toujours l’un des invités dont le comportement – l’excès dans la gravité, ou l’indifférence – montrait qu’il n’était pas dupe, qu’il savait que tous ces mots échangés étaient caquetage de volière, que l’important était ailleurs, dans la vie et la mort.
    Dans le couloir Lucia ressentit à nouveau la nausée comme la présence physique en elle de la peur, des bouffées qui, imaginait-elle, lui empourpraient le visage, si bien qu’elle portait les mains à ses joues, qu’elle murmurait « j’ai chaud ». En même temps, elle avait envie de vomir, vagues de dégoût irrégulières et la première quand, ce matin, elle avait aperçu sur le plateau d’argent posé près des tasses du petit déjeuner, la lettre de Giulio, avec ce timbre aux signes étranges, lettres d’un autre monde, du Japon dont tous les journaux parlaient. La guerre, les morts dans les sillons, les explosions qui détruisaient les forts de Port-Arthur. Lucia avait vu ces premières images animées, que l’on projetait dans une salle, place Saint-Michel, soldats trapus, engoncés dans leurs manteaux de fourrure, leurs visages épatés, leurs yeux fendus. Mais ils brandissaient des fusils à longues baïonnettes, ils étaient juchés sur d’énormes obus et ils gardaient des colonnes de prisonniers russes, d’athlétiques Sibériens qui marchaient dans la poussière mandchoue avec un air de soumission et d’incompréhension. « C’est la fin de la domination blanche, avait dit Jean en prenant le bras de Lucia à la sortie du cinématographe. Qui sait, Serge sera peut-être, quand il sera vieux, gouverné par des Jaunes ? » Il riait de la peur de Lucia. La lettre de Giulio venait de là-bas. Quand Jean s’était assis en face d’elle comme il le faisait tous les matins avant de partir pour le Collège de France et son laboratoire, Lucia avait pris la lettre, la glissant dans son corsage.
    — Une lettre ? demandait Jean.
    — Mon père, disait Lucia.
    Elle déjeunait à la hâte, s’étonnant de son mensonge, de la difficulté qu’elle avait à avaler. Elle se levait rapidement.
    — Je vais voir si Serge s’est réveillé, disait-elle.
    Elle embrassait Jean, distraite, courant dans le long couloir, tenant sa jupe soulevée, heurtant Marthe étonnée.
    — Madame, Monsieur Serge dort, vous allez…
    Lucia, d’un signe, obligeait Marthe à se taire. Elle chuchotait :
    — Je vais le voir.
    Elle entrouvrait la porte de la chambre de son fils. Pénombre, respiration régulière. Elle avançait vers le lit. Elle se penchait avec le désir de le toucher, de caresser ses boucles noires. La lettre de Giulio glissait sur le lit de Serge.
    Lucia ressortait de la chambre, déchirant l’enveloppe, commençant à lire debout dans le couloir, sautant les phrases. Nausée qui la faisait grimacer, envie de pleurer quand elle imaginait la charge sur le quai de San Francisco frappant l’enfant, et l’autre, le frère cadet qui était né le même jour que Serge. Lucia se signait. Il fallait prier pour que Dieu protège Serge. Giulio avait raison, il y avait trop de coïncidences.
    Elle avait traversé la journée avec l’inquiétude sur elle, ne réussissant pas à s’occuper vraiment de la réception du soir. Des semaines pourtant qu’elle y pensait, depuis que Jean avait été élu à l’Académie des sciences.

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