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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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« Quelques personnalités, quelques amis, avait dit Jean, c’est l’habitude, on fête l’événement. »
    Madame Morel, leur cuisinière de Cabris, qui ne se plaisait guère à Paris, maugréait. Les domestiques, Marthe et Raoul, interrogeaient Lucia à tout instant ; la place des fleurs, le buffet.
    — Oui, oui, disait Lucia, il faudrait…
    À la fin, elle s’était tournée vers Madame Morel et vers Marthe :
    — Aujourd’hui vraiment, je ne peux pas, faites vous-mêmes, décidez…
    — C’est bien le moment, Madame, marmonnait Madame Morel, pour une fois que Monsieur Jean…
    Mais Lucia n’entendait plus. Elle s’était enfermée dans la chambre de Serge, elle jouait avec lui, inquiète s’il semblait s’ennuyer un instant. Elle l’appelait : « Serge, Serge. » Au début de l’après-midi, elle avait décidé de sortir. La rue Médicis à traverser et, au delà des hautes grilles, s’ouvraient les allées du Luxembourg, Lucia courait avec Serge, tenant son chapeau de sa main gauche, risquant à chaque pas de trébucher dans sa robe, mais le froid aigu, la respiration rapide et le léger essoufflement qui en résultait faisaient disparaître la nausée. Elle riait des mimiques de Serge. Elle l’avait laissé tête nue tant elle aimait ses cheveux qui lui donnaient un air de petite fille, mais la brutalité de ses mouvements ne trompait pas. Il la poussait des deux mains, arc-bouté contre elle : « Cours maman, cours, cours. » Il donnait des ordres, petit homme têtu. Elle s’amusait à le contrarier : « Je ne veux pas, Serge, je refuse. » Il la regardait étonné qu’elle osât, sachant qu’il obtenait toujours ce qu’il désirait. Il poussait plus fort. « Cours », criait-il encore. Puis il s’écartait, ne se retournant qu’au bout de quelques pas et Lucia souffrant de cette indifférence qu’il manifestait si bien, se mettait à courir : « Je cours, regarde, je cours, Serge. » Mais avant qu’il daigne la poursuivre il fallait qu’elle le provoque. Brutalement alors il la rattrapait, s’agrippait à elle, serrait ses jambes avec une rage qui ravissait Lucia.
    — Serge, Serge, tu me fais mal. Elle riait et il serrait davantage.
    Les coups de sifflet des gardiens les avaient surpris près du grand bassin gelé. Serge accroupi tentait de crever la glace. Elle dut le tirer par le bras et il faisait sa mauvaise tête, se tenant à l’oblique, essayant de la déséquilibrer, lui donnant tout à coup le sentiment que la nuit allait les prendre là, dans les jardins abandonnés, la nuit et le froid débordant des buissons et des allées de marronniers. Ils se heurteraient aux grilles, elle devrait crier et Jean qui l’attendait, la soirée qui commencerait sans elle, Jean qui ne lui pardonnerait pas. Elle secoua Serge :
    — Allons viens.
    Il se mit à pleurer, disant qu’elle lui faisait mal, mais l’angoisse de Lucia était trop pressante pour qu’elle écoutât son fils et il le sentit, se taisant tout à coup, courant près d’elle parce qu’elle marchait vite, anxieuse de voir les portails ouverts. Elle aperçut enfin celui qui donnait au bout de la rue Médicis, un seul battant fermé, un gardien avec sa pèlerine courte allant et venant, comme s’il hésitait, s’apprêtant à leur interdire de sortir. Elle marcha plus rapidement encore, lâchant la main de Serge qui avait deviné, s’élançait en avant. Et le gardien voyant Lucia donna un petit coup de sifflet. Elle lui sourit, reconnaissante comme s’il venait de la sauver et elle reprit la main de Serge au moment où il semblait devoir traverser seul la rue, alors que les voitures descendaient nombreuses, vers la place de l’Odéon.
    Marthe et Madame Morel attendaient Lucia dans l’entrée, inquiètes. « Les invités de Monsieur Jean, commença Madame Morel, un ministre…» Mais Lucia était insouciante, heureuse d’avoir pu échapper à la nuit, de retrouver la chaleur de l’appartement. Elle traversait les salons.
    — C’est parfait, disait-elle, parfait.
    Elle prenait le temps de faire dîner Serge, elle acceptait qu’il reste avec elle cependant qu’elle s’habillait. Serge s’était couché sur le lit et il s’endormit bientôt, le visage appuyé sur le bras.
    — Ils sont là, disait Jean en entrant, vous êtes prête, chérie ? Il l’embrassait distraitement.
    — Jacquet, vous le savez, est le chef de cabinet du ministre de l’Instruction publique, c’est lui

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