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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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domestique, maison à deux étages. Combien de cheminées as-tu ? Je ne compte pas la propriété de notre famille à Odessa. Il y a assez d’industrie pour toi et pour les gens de la Cour et pour tous nos privilégiés ? Mais pas assez pour Macha, n’est-ce pas, Macha ? Tout pour les Loubanski et les Spasskaief et rien pour les Roubine ou si, des miettes.
    Macha desservait, elle sortait rapidement mais Evguenia surprenait cet instant d’arrêt au moment où elle passait devant Kostia, un mouvement des yeux presque imperceptible, une complicité admirative.
    — Laisse Macha, disait Boris d’une voix sèche. Tu te fais servir par elle comme nous. Et tu vas prendre le soleil à Odessa.
    — Allons, allons, vous deux, murmurait Evguenia.
    Elle s’installait au piano, commençait à jouer. Kostia lui caressait la joue en partant.
    — Adieu petite sœur.
    Quand elle le voyait ainsi grave et enfantin, ses cheveux trop longs, gras, débordant de la casquette, Evguenia était bouleversée. Kostia était bon, trop sensible, trop juste.
    — Promets-moi disait-elle en l’embrassant, promets-moi de ne pas faire le fou.
    — Ce sont les autres qui sont fous, petite sœur.
    Il donnait un coup de casquette cérémonieux et ironique en direction de Boris.
    — Beau-frère ingénieur, Kostia Loubanski te salue.
    Kostia prenait Anna sous les aisselles, la soulevait au-dessus de sa tête.
    — Anna Spasskaia, déclamait-il, tu grandiras dans une autre Russie, la Russie nouvelle.
    Anna riait, écartait les bras.
    — Tu voles vers elle, petit oiseau, disait Kostia.
    Anna battait des bras, ses boucles lui couvrant les yeux.
    Quand Kostia la reposait sur le sol, qu’il s’éloignait, Anna saisissait les pans de son manteau, « encore Kostia », répétait-elle, « encore l’oiseau ». Il recommençait parfois après lui avoir caressé les cheveux ou bien s’être accroupi devant elle. « Tu dois apprendre à voler toute seule », disait-il. « Toi, répondait Anna, avec toi, Kostia. »
    Cette affection entre eux, la tendresse de Kostia, la douceur de sa voix, la faculté qu’il avait de se faire écouter et aimer par Anna irritait Boris Spasskaief. Il essayait de ne pas les entendre. Assis devant la cheminée, il lisait le récit de l’audience que le Tsar avait accordée à une délégation des ouvriers des usines et des fabriques de Saint-Pétersbourg. À leur sortie du Palais Alexandre à Tsarskoïe Selo, ils avaient été reconduits à la gare dans les voitures de la Cour. «  La bienveillance de notre Empereur dit mieux que toutes les proclamations, l’attention qu’il porte aux conditions de vie et de travail des ouvriers de notre Sainte Russie. Le visage des délégués, tous d’honnêtes travailleurs, montrait qu’ils mesuraient l’importance du geste impérial. Leur émotion et leur reconnaissance étaient visibles sur ces rudes physionomies au moment où ils mon taient dans les voitures. Les soldats et les officiers de la Garde du Tsar observaient la scène. Aucun ressentiment de part et d’autre. On était loin heureusement des affrontements du dimanche 22 janvier. Quand les mauvais bergers sont mis à la raison, le peuple retrouve le vrai chemin…»
    — Anna.
    Spasskaief se levait, retenait Anna. « Cela suffit, ton oncle doit partir. »
    Il entraînait sa fille, disait à Evguenia. « Je crois qu’il est l’heure. »
    — Je vais te raconter, commençait Evguenia.
    Elle soulevait Anna qui s’accrochait un long moment au cou de Kostia.
    — Nous allons nous coucher, reprenait Evguenia.
    Elle laissait face à face Boris et Kostia.
    — Je pars, je pars, disait Kostia hésitant cependant sur le seuil.
    — Qu’espérez-vous ? demandait Boris sans lever la tête. Les morts de janvier ne vous suffisent pas ?
    Sur les quais de la Neva, le lendemain du dimanche rouge de janvier, Boris se souvenait du traîneau avançant lentement, le cocher debout, le fouet à la main. Le grelot tintait quand un ressaut de neige déséquilibrait l’attelage : un cercueil sur le traîneau et un homme seul marchant courbé derrière lui.
    — C’est nous que tu accuses ?
    Kostia retirait sa casquette, les cheveux retombaient sur son front, il les repoussait d’un geste rapide.
    — Les criminels, tu les connais, ceux qui ont fait tirer sur les gens désarmés. Mais ils ont eu tort. Les morts de 1905…
    — Ils ne revivront plus, disait Boris Spasskaief.
    Il froissait le journal

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