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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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nerveusement, le jetait dans le feu. La flamme s’élançait haute et vive, les cendres portées par le souffle chaud, voletant noires au-dessus du foyer.
    — Les morts de 1905, reprenait Kostia, personne ne les oubliera, Boris, tout est différent maintenant, et tu le sais ; le tsarisme est condamné, Boris.
    — Tu as le temps de mourir avant lui, murmurait Spasskaief.
    Il avait vu un étudiant, non loin des entrepôts de l’usine Ogirov, étendu sur le sol, le visage tuméfié, le crâne défoncé à coups de crosse ou de sabot. Le corps était resté là quelques heures, puis les ouvriers l’avaient transporté à l’intérieur de l’usine, placé sur le tablier d’une machine et ils avaient tous défilé devant lui, le vieux Machkine quittant sa maison de gardien, pour s’incliner lui aussi. Et Klim Kalougine, le jeune ingénieur, s’était mêlé aux ouvriers. Spasskaief et Ludwig Menninger avaient suivi la scène depuis la cabine vitrée d’où l’on commandait les ponts roulants. De là, on dominait la salle des fraiseuses et des tours. Sous les poutrelles métalliques et les verrières, les poulies et leurs courroies de cuir s’étaient immobilisées. Ludwig Menninger, les mains derrière le dos, s’arrêtait de temps à autre pour regarder, puis il revenait vers Spasskaief. « Vous autres Russes, qui vous comprendra ? disait-il. Vous implorez le Tsar et vous le maudissez. Vous assassinez les membres de sa famille et vous vous agenouillez devant leur dépouille. Dans une main vous avez une icône, dans l’autre une bombe. Observez-les – Menninger se rapprochait de la vitre – si nous essayions d’intervenir, ils nous tueraient. Et demain, si je passe dans les allées, deux ou trois d’entre eux vont vouloir m’embrasser la main, à moi, Spasskaief, moi l’Allemand. Et ils dénoncent bien sûr le capitalisme allemand qui colonise la Russie. » Menninger se tut un long moment. « Vous avez vu, Spasskaief ? Kalougine est avec eux. » « Il est très jeune, avait répondu Spasskaief, enthousiaste. D’ailleurs, rendre hommage à un mort…» Menninger lui avait tapoté l’épaule. « Vous aussi, Spasskaief ? Pourquoi ne pas vous joindre à eux ? » Boris avait eu un élan. Prendre Menninger au mot, descendre l’échelle de fer, marcher entre les machines silencieuses, sentir cette odeur un peu douceâtre de lubrifiant, se placer dans la file des ouvriers, et toucher ou embrasser, comme eux, le front de l’étudiant mort. « Je suis pour des réformes profondes de notre État, dit simplement Spasskaief. Et je ne suis pas sûr que les événements actuels…»
    Menninger s’était assis, il enlevait ses lunettes, en frottait méticuleusement les verres avec son mouchoir. « Cher Spasskaief, voyez cette usine, vous et moi nous essayons de la moderniser, d’y réaliser des réformes, je voudrais qu’elle ressemble aux usines d’Essen ou de Dresde. Seulement, voilà, nous sommes en Russie – Menninger remit ses lunettes. – Je vous prie de m’excuser, Spasskaief, mais il y a des lois de la physique des peuples. Vous ai-je dit que mon père était un savant ? – Menninger se levait. – Ce que je crains, c’est que votre guerre avec les Japonais ne se termine très mal pour les Russes. Le Tsar aura alors besoin d’une autre guerre, plus grande, plus glorieuse et contre qui voulez-vous qu’il la fasse, sinon contre nous les Allemands, Berlin ou Vienne, bien sûr, mais Vienne et Berlin désormais, sont alliés, alors…»
    Boris avait le désir de discuter de tout cela avec Kostia. Mais la raideur de Kostia, son ironie blessaient Boris Spasskaief. Il s’entendait sermonner Kostia comme un grand frère suffisant et amer. Il se reprochait cette attitude, en voulait à Kostia de l’y contraindre. Il avait hâte de le voir partir et pourtant il ne pouvait s’empêcher d’essayer encore de le retenir.
    — Mourir avant le tsarisme, disait Kostia. La prochaine fois nous serons armés et c’est nous qui tirerons. Et mourir après avoir tiré, je crois, Boris, que cela change tout.
    Il sortait joyeux et provocant.
    Boris gardait en lui cette colère, ces mots qu’il n’avait pu lancer. Il partait pour l’usine sans avertir Evguenia. Si Wladimir hésitait à s’engager dans certaines rues où il apercevait des attroupements, femmes et enfants rassemblés autour des ouvriers en grève, Spasskaief criait, puis sautait de la voiture.
    — Allez rentre, rentre, va te

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