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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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chauffer, tu trembles.
    Boris marchait rapidement vers l’usine. Il aimait le crissement des bottes sur la neige durcie, le froid qui saisissait le visage, coupait la bouche. Il longeait les palissades devant lesquelles les ouvriers stationnaient par petits groupes, battant du pied, les plus vieux inclinant la tête pour saluer Spasskaief, les autres se détournant sans hostilité mais refusant de le voir. Deux mondes, lui et eux.
    Les trois cheminées de l’usine dressées au-dessus des verrières de la forge étaient enveloppées par la fumée grasse de la houille. Boris frappa ses moufles l’une contre l’autre. Ils avaient recommencé à travailler. Les promesses du Tsar – assemblée élue, constitution – avaient-elles suffi à faire oublier les morts étendus sur la neige devant les grilles du Jardin d’Alexandre ? Boris vit que les ouvriers se dirigeaient lentement vers l’entrée de l’usine. Machkine, quand il aperçut Spasskaief, s’avança au-devant de lui quittant son abri. Le vieux souriait, secouant la tête d’avant en arrière.
    — La grève est finie, Monsieur l’Ingénieur, ça frappe à la forge. Ils rentrent. Je donne un coup de sirène ?
    — Donne un coup, dit Boris.
    Il se dirigea vers les bâtiments de la direction. Si la grève s’achevait, si le calme revenait, Ludwig Menninger partirait pour l’Allemagne. Ce voyage, il le retardait depuis des semaines, attendant l’accalmie. Spasskaief devrait faire face seul. Il se retourna. Les ouvriers rentraient. Ils ressemblaient à cet homme que Boris avait vu, suivant le traîneau chargé d’un cercueil, même démarche lente, et les yeux regardant le sol. Mais ils étaient des centaines. Machkine actionna la sirène. Un coup bref, un autre, puis un troisième plus long, comme un appel qui n’en finissait pas. Vieux fou de Machkine.
    — Ils rentrent, dit Menninger.
    Il se tenait sur le seuil du bâtiment, sans manteau, ne paraissant pas sentir le froid.
    — Pour longtemps ? murmura Spasskaief.
    — Assez pour que je parte et que je vous confie la barre. Ludwig Menninger s’effaça pour laisser passer Boris Spasskaief.
    — S’il se produit un incident, reprit-il – il posa sa main sur l’épaule de Boris – vous serez entre Russes.
    L’incident, jusqu’à ce que son train s’ébranlât, Ludwig Menninger l’avait craint. À Moscou la grève avait repris. À Saint-Pétersbourg, les ouvriers des usines Poutilov étaient venus haranguer leurs camarades de l’usine Ogirov ; trois étudiants avaient distribué des tracts, indifférents aux supplications du vieux Machkine qui leur montrait Menninger et Spasskaief debout au milieu de la cour. Mais à quelques exceptions près, les ouvriers étaient restés à leurs postes. « Ils ont faim » avait dit Spasskaief. « Cela rend raisonnable », avait répondu Menninger.
    Menninger avait donc décidé de partir pour Munich, malgré la menace d’une grève générale des chemins de fer de Russie. Le nord du réseau risquait d’être le premier paralysé, il avait choisi l’itinéraire le plus long, celui qui, s’éloignant de la Baltique, s’enfonçait dans les plaines mamelonnées où le vent créait ces vagues de neige immobiles et régulières. Menninger roulait vers Varsovie et Lodz, étendues blanches sous le ciel uniforme vers lequel s’élançaient au loin des oiseaux, points noirs qui se détachaient du sol paraissant hésiter et que Menninger perdait aussitôt de vue, arrêtés en plein vol, parce que le train avançait, que Menninger ne fixait son regard sur aucun détail du paysage, laissant se déployer la longue bande forestière qui coupait la plaine comme une falaise basse où venait se briser la neige.
    Menninger avait télégraphié à Munich. Greta avait dû prévenir les enfants. Inge déjà dessinait les fleurs de la bienvenue, Karl près d’elle essayant de l’imiter avec cette obstination grave, cette patience que Ludwig avait perçue chez son fils dès la première année, quand il lui avait appris à marcher au cours de l’un de ses brefs séjours. Karl n’avait que dix mois. « Trop tôt Ludwig, disait Greta, Inge n’a marché qu’à douze mois et c’est ainsi pour tous les enfants. » Ludwig Menninger ne répondait pas à sa femme. Il respectait en elle ce calme des montagnards – elle était née dans la région de Kreuth, près de l’Achenpass – qui pouvait être sagesse mais aussi passivité. Il lui avait laissé élever

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