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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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assis en face de Nathalia et de Sarah. Il paraissait tant souffrir que Sarah s’était après un moment installée près de lui, glissant sa main sous son bras.
    — Ce n’est rien, Mietek, disait-elle. N’est-ce pas, maman ?
    — Nous sommes juifs, murmurait Nathalia, c’est ainsi, partout. Samuel croyait qu’à Paris, mais tu vois Sarah, comme en Pologne, nous sommes juifs.
    Mietek s’était dressé, heurtant la capote du fiacre, criant :
    — Taisez-vous, Nathalia, vous êtes une imbécile. Vous imaginez-vous que nous accepterons cela toujours ? J’ai quitté la Pologne et je quitterai Paris aussi, nous construirons notre capitale, à nous.
    Il s’était mis à rire tout à coup.
    — Nathalia, Nathalia, je vous ai traitée d’imbécile, je ne le regrette pas, cela veut dire que je vous aime.
    Il avait commencé à chanter en yiddish et Sarah fredonnait près de lui, joyeuse. Rue d’Assas, il renvoya le fiacre.
    — Je rentrerai à pied, dit-il. Vous avez vu le ciel, Nathalia ? N’oublie pas ces étoiles, Sarah, tu es ce soir entrée dans la grande vie.
    Il les embrassa, gardant longtemps Sarah serrée contre lui, lui murmurant :
    — Tu es un peu ma fille, Sarah, je suis fier de toi, tu as joué comme seuls jouent les juifs, sensibles, tristes et pleins de vie. Sois fière d’être juive, Sarah.
    Il lui tapota la joue, s’inclina cérémonieusement devant Nathalia :
    — Chère Nathalia, me pardonnerez-vous jamais ?
    Nathalia elle-même avait ri.
    — Je vous pardonne, Mietek, parce que vous êtes comme un chien fou.
    Mietek Graevski s’éloigna à reculons, toujours courbé, saluant :
    — Je suis fou parce que je suis vivant, Nathalia, tous les vivants sont fous. Ceux qui sont raisonnables sont morts, voilà.
    Elles attendirent qu’il fût au coin de la rue. Il les salua, cria dans le silence.
    — Lehaim, lehaim.
    À la vie.
    Lehaim. Depuis ce soir-là, ce mot était devenu le fétiche de Sarah. Elle le prononçait à mi-voix quand elle avait peur, elle l’écrivait à la fin des lettres qu’elle adressait à Mietek Graevski qui avait enfin obtenu d’être enrôlé dans un régiment de la Légion étrangère et qui combattait en première ligne – «  de la boue et du sang jusqu’aux yeux » , racontait-il.
    Lehaim.
    Elle le murmurait dans la grande bibliothèque, quai d’Orléans, souriant au jeune homme qui debout dans l’allée cherchait maintenant une place, ayant cédé la sienne à Nathalia Berelovitz.
    — Asseyez-vous là, dit Kuron au jeune homme tout en entraînant Sarah vers l’orchestre.
    Il désignait le milieu de l’allée.
    — Merci, répéta plusieurs fois Sarah.
    Le jeune homme fit une mimique, s’installa les jambes croisées, les bras tendus en arrière.
    — Je suis très bien, lança-t-il.
    On rit autour de lui.
    Lehaim.
    Chaque note semblait répéter ce mot, lehaim, Sarah n’avait jamais joué ainsi, vécu Mozart avec une telle passion, le corps balancé de droite à gauche, la tête ployée par cette juvénile puissance, ce jaillissement qui l’emportait hors d’elle, si bien que quand elle s’arrêta, elle resta un long moment courbée sur le piano, avec la sensation que son corps tremblait, n’en avait pas fini avec le concerto, qu’elle eût voulu recommencer ou tout au moins ne pas interrompre. Les applaudissements la heurtèrent comme une violence tumultueuse et primitive. Elle salua, mais le contraste était si fort entre ce qu’elle venait de vivre et cette bruyante manifestation d’enthousiasme qu’elle chercha une issue pour s’enfuir, échapper à la rumeur des voix, aux phrases auxquelles il lui faudrait répondre, cette chute quand la musique cesse et que la marée désordonnée des bruits s’enfle à nouveau. Sarah recula vers le fond de la scène tout en saluant, en faisant un signe à sa mère qui était debout au premier rang et qui applaudissait.
    Quand Kuron chercha Sarah pour la contraindre à s’avancer à nouveau vers le public, elle avait disparu, empruntant une porte dissimulée par les paravents qu’on avait dressés au fond de la scène. Sarah avait trouvé un escalier de ciment, étroit, éclairé par des ampoules poussiéreuses et elle avait fui, comme si on la poursuivait, débouchant dans la rue des Deux-Ponts balayée par un vent froid. Sarah frissonna. Elle hésita un instant, pensant au désarroi de sa mère, qui devait l’attendre, la chercher dans la salle. Elle l’imagina, le mouchoir sur

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