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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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disait « cela vous tente, Mozart, Schubert ? Sarah Berelovitz est la pianiste à la mode » mais avant qu’on lui réponde il ajoutait « ennuyeux les concerts, les solistes ». Il croyait oublier Sarah Berelovitz, c’est si peu une émotion, si ténu un souvenir, si bourdonnantes d’événements toutes ces années, l’armistice, les traités de paix, le départ pour Mayence, et maintenant Essen – qu’un visage entrevu, il faudrait un miracle pour qu’on le remémore.
    À l’hôtel de la Lorelei, Serge avait éteint toutes les lumières, la lampe de chevet et le lustre qui éclairait le petit salon attenant à la chambre. Assis dans le fauteuil, les jambes posées sur le pouf, une couverture jetée sur ses genoux, il se penchait de temps à autre pour remonter le gramophone. Puis il écoutait ces disques de jazz qu’il avait rapportés de Paris, mais sous le rythme saccadé, notes isolées, piano qu’interrompait la voix nostalgique de la trompette bouchée, il entendait une autre musique, il lui semblait qu’il était encore assis dans l’allée de la grande salle de la Bibliothèque Polonaise, Sarah Berelovitz à quelques mètres de lui, les doigts ailés…
    Humiliant d’être habité par une femme à peine côtoyée alors que tant d’autres, possédées, s’étaient enfoncées dans la vase grise où se confondent les nuits et les corps. Sarah, si vive, que c’en était douleur et bonheur.
    Serge s’obligea à penser à Florence Carbonnet, décida de lui écrire afin de renouer avec elle. Elle était l’ordre et le raisonnable. Elle saurait, plus tard, l’aider à rédiger une dépêche, à nuancer une analyse. Elle serait ralliée. Le reste, ce souvenir de Sarah Berelovitz, était tenace comme une maladie qui s’incruste.
    Serge se leva d’un bond, repoussant la couverture. Il souleva le bras du gramophone, enleva le disque, puis allumant la lampe du bureau, il commença à écrire.
    Essen, 20 décembre 1923
    Chère Florence,
    Voilà des mois que je voulais…
    Il posa le stylo, froissa le papier, prit une autre feuille, traça les mêmes mots, s’interrompit. Florence : il ne réussissait même plus à l’imaginer, ni la voix ni le visage. Sarah si proche, ses cheveux noirs avaient des reflets roux, ils masquaient le haut du front, accusaient la maigreur du visage, austère Sarah, si émouvante, penchée sur le piano, la seule fois où Serge l’avait vue jouer.
    Serge déchira la seconde feuille. Il s’installa à nouveau dans le fauteuil, annota le dossier de la Commission de justice. Une maladie que la mémoire. Il saisit une autre feuille et la posant sur la chemise du dossier, il écrivit avec vivacité à même ses genoux.
    Essen, 20 décembre 1923
    Chère Sarah Berelovitz,
    Cette lettre va vous surprendre. Vous ne vous souvenez certainement plus de moi, mais le hasard d’une rencontre, une jeune femme allemande qui vous ressemblait, me pousse brusquement à vous écrire et même si cette lettre doit vous paraître incongrue, je ne peux m’empêcher de vous l’adresser. Nous ne nous sommes vus que deux fois, il y a maintenant plusieurs années, mais qui peut décider de ce qui va demeurer dans le souvenir ?…
    Les lettres adressées à Sarah, quand sa fille était en tournée, sa mère les plaçait sur le piano, dans le salon qui donnait rue d’Assas. Chaque matin, Nathalia Berelovitz s’asseyait sur le tabouret et les coudes posés sur le couvercle du clavier, elle faisait glisser les lettres vers elle, une à une, relisait l’adresse et ces mots Mademoiselle Sarah Berelovitz, ou bien Madame Sarah Weber, la rassuraient comme la preuve que sa fille allait revenir, puisque les lettres arrivaient là, que Sarah bien que mariée depuis maintenant trois ans – trois ans exactement, la cérémonie avait eu lieu en décembre 1920, le 17 – avait refusé de changer d’adresse.
    « Nous verrons plus tard, dans quelques mois, expliquait-elle à Charles. Nous sommes toujours en tournée, l’appartement de maman suffira…»
    Nathalia s’était inquiétée, elle aurait désiré autre chose, un grand mariage, une maison pour les jeunes époux où elle aurait eu sa chambre, proche de celles des enfants qui allaient naître, mais Mietek Graevski avait murmuré à Nathalia, la prenant par le bras : « Chère Nathalia, vous ne croyez quand même pas que notre Sarah va vivre cinquante ans avec ce petit jeune homme sans odeur ? Elle commence avec lui, il faut bien un

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