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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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invités : « ils sont mariés, n’est-ce pas merveilleux, deux interprètes de cette qualité, quel miracle », elle rougissait, ne pouvait s’empêcher de dire : « Mariage de raison, pour les voyages c’est si simple. » On ne la prenait pas au sérieux, on l’imaginait timide, aimant le paradoxe et Web, le soir, la regardait avec tendresse, s’asseyait au pied du lit : « Sarah, comment allez-vous ? »
    Elle avait maintenu entre eux le vouvoiement dès le premier soir, dans cet hôtel du front de mer à Biarritz – était-ce l’hôtel de l’Occident, le nom maintenant lui échappait, l’avait-elle jamais su ? – les vagues heurtant les blocs de rocher qui protégeaient la jetée et leur respiration sourde était encore vivante dans la mémoire de Sarah comme le souffle rauque d’un monstre tapi. Charles Weber, son mari depuis quelques heures, parlait sans laisser le silence faire naître entre eux l’intimité. Il disait tout à coup : « Veux-tu que nous nous couchions, ma chérie ? » Cette phrase avait peut-être décidé de ce qu’allait être leur mariage, une phrase qui ressemblait aux caricatures de Français que Mietek Graevski dessinait parfois sur les nappes des tables de la Coupole : « Petits, Sarah, ils sont petits, jamais vraiment ivres. Crois-tu ? Il m’arrive de préférer nos Russes ! »
    Elle avait sèchement répondu à Charles : « Couchez vous si vous le voulez, je sors. » Avant même qu’il eût réagi, elle avait claqué la porte derrière elle, descendu rapidement l’escalier, traversé la promenade jusqu’à la jetée blanche d’écume avec le désir de se laisser aspirer par le vent et ces creux noirs qui s’ouvraient au moment du ressac. Elle s’était cependant accrochée au filin d’acier, résistant aux rafales, trempée par les embruns, pleine de sel et de violence. Alors elle était remontée dans la chambre, rencontrant Charles Weber dans l’escalier. Il était encore si surpris qu’elle eut envie de rire. « Mon cher Charles, je suis polonaise, juive, slave, un peu folle, donc vous devez m’excuser. »
    Elle se laissa aimer, calme, passive comme un étang.
    Elle avait senti peser sur elle, soir après soir, le corps de Web, elle avait osé poser ses mains sur son torse, du bout des doigts repousser ses cheveux, et après quelques mois, hésitante, caresser ses jambes, effleurer l’aine de l’ongle. Mais était-ce Web qu’elle voulait connaître ? S’il commençait à parler alors qu’ils étaient allongés côte à côte, elle s’écartait de lui. « Je vous en prie, Charles, taisez-vous. » Elle refusait de laisser dans la chambre la moindre lumière. « Je ne supporte pas, vous le savez. » Il acceptait, essayait de se pelotonner contre elle, d’embrasser ses seins. Elle se raidissait, devinait qu’allait se lever un souffle intérieur qui la ploierait, la taille cambrée, les épaules rejetées en arrière, arc fendu et Charles s’insinuerait au centre de son attente, lourd et âpre, désordonné, haletant, poussant un cri de gorge avant de s’éloigner d’elle, la laissant tendue à se briser, avec une douleur aiguë au niveau des reins, une bouche sèche. « Chérie, chérie », répétait-il d’une voix ensommeillée et son abandon était si grand, son incompréhension si naïve, qu’elle avait parfois envie de le prendre contre lui, de le bercer comme on le fait avec les enfants qui ne savent encore rien. Mais elle s’empêchait de céder à cette tentation de la pitié ou de l’orgueil. Si l’inégalité était la loi du couple, qu’avait-elle besoin d’un couple ? Elle dormait mieux seule, plus dispose le matin pour les répétitions, plus libre de lire le soir sans avoir à subir ce mirage d’un plaisir qui se dérobait, l’insomnie qui en naissait, l’irritation qu’elle en gardait tout le lendemain. Elle jouait mal, de manière saccadée, comme s’il lui fallait, pour retrouver la spontanéité savante qui la portait, écarter des obstacles, ces déceptions, ces amertumes de la nuit.
    Elle se protégea donc, exigeant dans les hôtels où ils descendaient : « une chambre à deux lits, n’est-ce pas, Charles ? » puis : « deux chambres bien sûr ».
    La joie de la première nuit, dans cet hôtel des Anges, à Nice, Promenade des Anglais, quand après le concert, elle s’était retrouvée dans la chambre pour elle seule, la sensation de liberté, comme si elle avait réussi à

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