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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Kostia, courrier de l’Internationale Communiste, le célèbre Komintern, se faisait appeler, quand il voyageait en Europe, Ogirov, du nom des grandes usines métallurgiques de Pétersbourg, ne reprenant son nom de Kostia Loubanski qu’une fois passées les frontières de la patrie des Soviets ? Qui peut dire si David Wiesel eût renoncé à ce qu’il croyait vrai ?
    Les convictions obéissent à d’autres lois qu’à celles de la connaissance.
    Mais David Wiesel eût été ému par la vie d’Anna Spasskaia, par la douleur qu’elle éprouvait chaque fois qu’elle rendait visite à ses parents, qu’elle découvrait ce que l’ouragan qui avait balayé la Russie avait fait de l’existence de Boris et d’Evguenia Spasskaia. Elle savait qu’ils étaient des millions comme eux, jetés sur la rive hostile d’une autre vie. Elle avait essayé de les protéger et quand durant les mois noirs de la guerre civile, Boris Spasskaief avait été accusé de saboter la production de l’usine Ogirov, Anna avait demandé à voir Machkine, le responsable bolchevique. Debout en face de lui, dans l’ancien bureau des Ingénieurs, elle refusait de parler de leurs relations, de cette nuit à l’hôtel Bristol, elle disait : « Je ne demande rien pour lui, seulement la justice, que les travailleurs se prononcent. »
    Machkine s’appuyait des deux mains à la table couverte de tracts et de journaux.
    « Et qu’est-ce que tu crois, camarade ? Ton père, pour moi, un homme comme les autres, un ennemi comme les autres aussi. Rien de plus. Rien de moins. »
    Devenu ouvrier, Boris Spasskaief, pour quelques mois. À la forge comme jadis le père de Machkine ou Machkine lui-même avant les jours d’octobre. Cela c’était dans la fin de l’année 20, quand le bois manquait à Pétersbourg, qu’on voyait partir les habitants par petits groupes vers les forêts gelées. Ils revenaient, des paquets de branches noires sur leurs épaules. Ici et là les usines s’arrêtaient faute de combustible. Les nouveaux cadres, incapables de maintenir la production, se tournaient vers les ingénieurs, les messieurs. Boris Spasskaief cessa d’être ouvrier. « Pourquoi pas ? disait Machkine, ils ont appris maintenant, ils savent autrement que dans leur tête le poids de l’acier ; quand on leur dira qu’on a le dos glacé et le ventre cuit, ils ne hausseront plus les épaules. Qu’ils reviennent mais qu’ils ne croient pas qu’ils feront la loi. » Il fermait le poing, il ajoutait : « Ces hommes-là, ces bourgeois, pour nous, ce sera comme des machines, si elles tournent, on les graisse, sinon…»
    Un jour, le 1 er  mai, la Neva depuis deux semaines déjà était libre ; le printemps exceptionnellement précoce avec le soleil qui en paraissait plus haut sur l’horizon – le cortège des ouvriers métallurgistes s’était formé devant la grande verrière de l’usine Ogirov. Banderoles, drapeaux rouges. Le Soviet des Artistes avait désigné Anna pour animer cette partie de la manifestation : un piano à queue avait été réquisitionné, monté sur la plate-forme d’un camion. On avait peint sur l’un des côtés, en grandes lettres d’imprimerie blanches, L’art au service de la Révolution et sur l’autre Les artistes sont des travailleurs. Anna s’était assise sur le tabouret, avait serré son long manteau sur ses genoux, soulevé le col de fourrure parce qu’à rester immobile le froid saisissait, le printemps semblait alors une apparence, le soleil un disque plat sans le bouillonnement de la chaleur. Quand le camion s’était arrêté face au portail de l’usine, qu’Anna avait commencé à jouer l’Internationale, applaudie par les ouvriers, elle avait vu son père, debout au milieu de la cour, seul, avec son chapeau de feutre bourgeois, son pardessus noir ouvert. Il gardait les mains dans les poches, découvrait ainsi sa veste, son gilet, et cette nonchalance dans l’attitude paraissait provocante, comme le défi que l’ancien mode de vie jetait au nouveau. Anna avait frappé plus fort sur les touches. «  Du passé, faisons table rase…» puis elle avait commencé à jouer la Marseillaise et le camion s’était ébranlé, roulant au pas, le cortège des ouvriers métallurgistes rejoignant celui des délégations paysannes et les détachements de l’Armée rouge. Au coin de la Fontanka et de la perspective Nevski, le défilé s’était immobilisé. La foule barrait les rues, couvrait les

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