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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Wiesel d’une voix très basse, ce sont les enfants, s’il n’y a pas d’enfants, qu’est-ce qu’un couple ? Jusqu’aux enfants on peut, on doit recommencer si l’on n’aime plus.
    Elle lui serra la main à son tour.
    — Je veux recommencer, dit-elle, et elle ajouta pour elle seule « lehaim ».
    Il la raccompagna à son hôtel et ils restèrent longtemps dans le grand salon à bavarder. Toutes les lumières étaient éteintes mais du hall éclairé se diffusait jusqu’à Sarah et David Wiesel une clarté poussiéreuse. David était penché, les avant-bras appuyés sur les cuisses, les mèches retombant sur le front. Il parlait avec passion depuis plus d’une heure peut-être.
    — Comprenez Sarah, disait-il, cet antisémitisme, le pouvoir de l’argent s’en sert pour aveugler les paysans, les pauvres, les jeter contre nous. – Il baissait la voix. – Ce gouvernement que flatte la France, savez-vous ce que c’est ? Une dictature militaire avec quelques fioritures. Tous ces nobliaux, tous ces généraux, Zeligowski, Sosnkowki, une caste qui a fort bien accepté la domination russe mais qui, maintenant que la Russie est bolchevique, hait les Russes. – Wiesel souriant, approchait son fauteuil de celui de Sarah. – Je suis bolchevik, Sarah, communiste. Que voulez-vous que soit un juif polonais ? – Il se levait lui tendait la main pour l’aider à quitter le fauteuil. – Qu’attendez-vous, Sarah ? Devenez communiste.
    Devant la porte à tambour de l’hôtel, cependant que le portier somnolait, Sarah se tenait immobile face à David Wiesel, levant les yeux vers lui.
    — Vous rentrez, dit-elle, comme il lui prenait les épaules. Il fit oui de la tête avant de l’embrasser avec tendresse.
    — Recommencer, murmura-t-il, recommencer Sarah, ce ne sera pas comme cela parce que tu l’auras décidé, mais sans que tu le saches.
    Il l’embrassa une nouvelle fois puis, poussant la porte à tambour, il se laissa envelopper par l’obscurité.
    Sarah, cette nuit-là, décida que c’en était fini de Charles Weber, qu’elle achèverait les contrats de l’année, puis qu’elle trancherait. Le matin, comme elle rencontrait Charles, dans le hall de l’hôtel, il lui sourit, ironique. « Tu as vu tes ancêtres ? »
    Elle répondit avant de s’éloigner, sans colère :
    — Nous nous quitterons à la fin de l’année.
    Ils n’habitèrent plus le même hôtel. Ils ne se retrouvaient qu’au moment des répétitions et des concerts. Ils prenaient des trains et des taxis différents. Ce n’est qu’en décembre, pour se rendre à Hambourg, qu’ils voyagèrent ensemble – et le train fut stoppé par les insurgés – qu’ils descendirent dans le même hôtel, proche du Jardin botanique. Et pour le rejoindre, il leur fallut passer par des rues obstruées par des barricades et gardées par des soldats.
    — Ces officiers, dit Sarah en arrivant à l’hôtel, quelle morgue ! Ce sont les mêmes qui ont tué Rosa Luxemburg, les mêmes.
    Charles la regarda avec étonnement.
    — Qui est-ce celle-là ? demanda-t-il.
    — Une révolutionnaire, commença Sarah.
    Elle regretta aussitôt d’avoir parlé, prit sa clé, se dirigea vers l’escalier.
    — Juive aussi, peut-être, dit Charles. Que Dieu ou le diable l’emporte !
    Sarah ne répéta pas ces mots de Charles à sa mère.
    Elle ouvrait les enveloppes, jetait un coup d’œil distrait sur les lettres, commençait à pianoter de la main gauche. Nathalia Berelovitz s’était éloignée un instant, revenant avec une enveloppe, « celle-là, disait-elle, j’oubliais – elle balbutiait – elle venait d’Allemagne, c’est pour toi, je…» Sarah regardait le timbre, l’écriture, déchirait le bord de l’enveloppe d’un geste rapide, lisait, froissait la lettre, la jetant vers le panier, mais elle roulait sur le parquet.
    — Ton petit protégé, maman, disait-elle, Serge Cordelier, le voisin, rue Médicis, souviens-toi, il y a des années, ce concert à la Bibliothèque Polonaise, il t’avait raccompagnée ici.
    Sarah se penchait, reprenait la lettre, la posait sur le clavier, l’aplatissait de la paume, enfonçant ainsi les touches aiguës qui vibraient.
    — Je me souviens, disait Nathalia Berelovitz – elle chuchotait comme si elle partageait avec Sarah un secret.
    Sarah fit résonner quelques notes graves.
    — À Varsovie, dit-elle – elle s’interrompit pensant à la dernière phrase de David Wiesel, devant la

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