Les hommes perdus
appartenait de présenter le projet et de le défendre. Aux interpellateurs, il répondit que l’on ne supprimait nullement le principe égalitaire. « L’égalité, dit-il, consiste en ce que la loi est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. »
En définitive, la Constitution, telle qu’elle fut votée dans son ensemble le 5 Fructidor, 22 août, apparut un peu moins réactionnaire que ne le craignaient Claude et Jean Dubon. Sans doute était-elle essentiellement bourgeoise. La Convention avait même substitué au suffrage direct, proposé par les Onze, les élections à deux degrés. En revanche, elle ne mettait à l’éligibilité qu’une condition d’âge. Tout Français âgé de trente ans – ni domestique ni prêtre – pouvait être élu député. Quant au droit de vole, tout en le faisant dépendre du cens, elle l’étendait à d’autres que les propriétaires. N’importe quel citoyen âgé de vingt-cinq ans, non-propriétaire, devenait citoyen actif et votait dans les assemblées primaires pour désigner les électeurs du second degré, s’il payait volontairement une contribution personnelle égale à la valeur de trois journées de travail. Cela représentait une faible somme prise sur les gains d’une année. Ainsi certains ouvriers, employés, laboureurs accédaient au rôle d’électeurs primaires. Ceux du second degré, élisant dans les assemblées départementales les députés au Corps législatif, devaient posséder un bien égal, dans les communes au-dessus de 6 000 habitants, à la valeur de deux cents journées de travail. Mais la Constitution assimilait à ces propriétaires les locataires de semblables biens ou d’une habitation représentant la valeur de cent cinquante journées de travail. Le cens baissait avec le chiffre de la population communale. Étaient exemptés du cens les citoyens ayant servi au moins un an, ou bien ayant reçu une blessure, aux armées, depuis 1790. À partir de l’an XII, pour se faire inscrire sur les registres civiques, les jeunes gens devraient prouver qu’ils savaient lire et écrire, et qu’ils exerçaient une profession. Les prêtres, les domestiques se trouvaient exclus des assemblées primaires et départementales comme de l’éligibilité. Rouzet, député de la Haute-Garonne, ayant demandé le droit de suffrage pour les femmes, s’était entendu répondre par Lanjuinais : « Quelle femme honnête oserait soutenir qu’il n’y a pas unité entre le vœu de son mari et le sien. L’époux, en stipulant pour lui, stipule nécessairement pour celle qui ne fait qu’un avec lui. » Et les veuves, les citoyennes non mariées !… On passa outre. Les intempérances des sociétés populaires féminines, en particulier celle de Claire Lacombe et la « Fraternelle des deux sexes », la turbulence des « tricoteuses » de la Commune disposaient mal les conventionnels échaudés à concéder aux femmes un rôle politique.
Le Corps législatif se composait de deux assemblées : l’une comptant cinq cents membres âgés de trente ans au moins, nommée Conseil des Cinq-Cents ; l’autre, le Conseil des Anciens, formée de deux cent cinquante membres âgés de quarante ans au moins, obligatoirement mariés ou veufs. Ces deux corps se renouvelaient par tiers tous les ans. On n’y pouvait siéger plus de six années consécutives. Le Conseil des Cinq-Cents votait des « résolutions » qu’il proposait au Conseil des Anciens. Si celui-ci approuvait une résolution, elle devenait loi. S’il la rejetait, il fallait attendre un an pour la lui soumettre de nouveau. Mais il l’examinait à nouveau si les Cinq-Cents la lui présentaient remaniée. C’est ainsi que les Anciens provoquaient des amendements, sans avoir la faculté de les demander. Chaque député à l’un ou l’autre Conseil recevait une indemnité annuelle équivalant à la valeur de trois mille myriagrammes de froment.
Un Directoire de cinq membres, âgés d’au moins quarante ans, exerçait le pouvoir exécutif. Ces directeurs étaient désignés, au nom de la nation, par le Corps législatif faisant fonction d’assemblée électorale. Les Cinq-Cents établissaient, au scrutin secret, une liste de candidats parmi lesquels les Anciens choisissaient, au scrutin secret également. Chaque année, un des cinq membres, désigné par tirage au sort, quittait le Directoire. Il n’y pouvait rentrer qu’après un délai de cinq ans. Les
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