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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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fut derechef exilé dans la vallée de Montmorency. Il écrivait à Claude : « Mon ami, tu as partagé ma douleur quand j’ai perdu ma petite Nièvre, aussi je tiens à ce que tu partages ma joie présente. Un second fils vient de me naître ; il se nomme Joseph-Liberté. » Et il déclamait contre les réacteurs. « Ah ! quelle perfidie nous entoure ! On s’attache à nous comme le serpent autour du corps qu’il veut dévorer. »
    Claude lui-même subit la persécution sous une forme assez singulière. On ne pouvait rien contre lui, rentré dans la vie privée, exerçant une profession qu’aucune loi ne permettait de lui interdire. Les autorités de sa nouvelle section découvrirent néanmoins une façon de le tracasser. Il se vit convoqué dans l’ancien couvent des Petits-Pères où se trouvaient les bureaux civil et militaire. Deux officiers auxquels il eût été fort empêché de donner leur grade se tenaient debout derrière un quartier-maître qui scribouillait. Claude lui remit son billet.
    « Ah ! c’est toi, le citoyen Mounier-Dupré, dit cet homme. Ne sais-tu point que tu es en contravention avec le règlement de la garde nationale ? En établissant parmi nous ton domicile, tu devais te faire transférer sur les contrôles de notre bataillon.
    — Pour me faire transférer, il aurait fallu que je comptasse au bataillon des Tuileries. Or je n’y figurais pas, quoique ayant résidé cinq ans dans la section.
    — Comment ça ! s’exclama l’un des officiers, le plus galonné sur les revers.
    — Ma foi, citoyen, d’abord j’étais représentant, donc non soumis au service dans la garde nationale ; ensuite, proscrit.
    — Ah, ah ! tu es un de ces amnistiés de Brumaire !
    — Il paraît, et tu ne l’ignorais pas, assurément, citoyen.
    — Citoyen capitaine adjudant-major, s’il te plaît. Ici, nous les dressons, les terroristes. Quartier-maître, inscris cet homme à la compagnie du capitaine Bourgeois, que voici, précisa-t-il en montrant à Claude d’un signe de tête l’autre officier. Terroriste ou pas, tu es maintenant propriétaire, payant le cens, et comme tel tu dois t’honorer de servir dans la garde nationale.
    — Je ne connais rien au métier des armes.
    — On te l’apprendra. Monter la garde te semblera peut-être moins agréable que de pérorer à la tribune, mais avec ta carrure tu feras un beau grenadier, n’est-il pas vrai, Bourgeois ?
    — Sans nul doute, dit celui-ci d’un ton plus courtois. Je serai flatté, citoyen, de te posséder dans ma troupe.
    — L’habit et le reste, sauf le fusil, la baïonnette, le briquet, sont, tu le sais, à ta charge. Le quartier-maître va te donner la liste du fourniment, et il t’enverra un billet avec lequel tu te présenteras, décadi prochain, à sept heures de la matinée, en uniforme, au poste, pour aller faire l’exercice. En cas d’absence, je te le rappelle, c’est la prison. Douze heures, la première fois. Seule excuse, la maladie ; mais alors le médecin du bataillon te visitera. Entendu ?
    — À merveille, citoyen capitaine adjudant-major », répondit Claude non sans une ironie un peu amère. Ô république, pensait-il, que de bienfaits tu nous ferais haïr ! On prend un marchand de vins, on lui colloque un grade, et le voilà tyranneau. Avons-nous supprimé la domination de l’aristocratie pour y substituer la tyrannie de la médiocrité ? Avons-nous tué un roi pour nous donner deux millions de despotes ? On en viendrait à croire que nous étions plus libres sous la monarchie où, certes, personne ne m’eût contraint de servir dans la milice bourgeoise. La liberté doit-elle donc, par nature, détruire la liberté ?…
    Lise se divertit beaucoup quand il lui annonça ce nouvel avatar. « Robin en province, député, magistrat municipal, commissaire au Salut public, proscrit, journaliste, et maintenant avocat-grenadier, à quoi ne suis-je point bon ? dit-il. Tu as épousé Protée, ma chère. » Mais lorsqu’elle le vit dans son uniforme bien ajusté, encore qu’acheté d’occasion : « Que tu es beau ! s’écria-t-elle. Toi aussi, tu aurais pu être général ! »
    Il supporta philosophiquement la brimade, perdit ses matinées du décadi à se familiariser avec le maniement du fusil, le tir à la cible dans la plaine de Grenelle, les évolutions par section, par compagnie, par bataillon, et l’escrime au briquet. Choses excellentes pour sa santé, car il aurait

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