Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
la salle des inspecteurs, aux Tuileries, et ne s’accordent sur aucun plan. Des bavards, désordonnés, effrayés devant l’action. Heureusement, les Jacobins des Cinq-Cents, qui palabrent eux aussi, ne seront pas plus déterminés, je pense. N’importe, il faut s’attendre à de l’opposition demain. Ah ! Talleyrand, Sieyès et les Bonaparte feront bien de réussir, sans quoi je n’hésiterai pas !…»
    Il n’acheva point sa phrase. Elle en disait assez. Il était en vérité le maître de faire fusiller, au besoin, les conspirateurs maladroits. Cet homme étonnant, si humble encore dix-huit mois plus tôt, disposait aujourd’hui d’une puissance bien supérieure à celle qu’avait jamais eue son ennemi Robespierre. Le Directoire réduit à rien, les Conseils divisés, le ministre de la Police générale détenait un pouvoir sans contrôle ; une fois Napoléon sorti de Paris, il aurait en outre sous la main la force armée, car les généraux ne manquaient pas – Moreau, Bernadotte quoiqu’il fût l’époux de Désirée Clary, Augereau – pour régler son compte à un rival impatiemment supporté, voire haï.
    Pour avoir connu mainte situation non moins dramatique et l’angoisse des lendemains suspendus entre la vie et la mort, Claude concevait les sentiments de Fouché qui, le regard perdu au-dessus de la Seine noire, mesurait avec anxiété sa puissance, ses responsabilités et ses risques.
    « Je te comprends, mon ami. J’ai passé par là. »
    Fouché se retourna. « Justement, dit-il, ton expérience me serait précieuse. Iras-tu à Saint-Cloud ?
    — Non. Rien ne m’y appelle. De toute façon, je ne pourrais y aller : je suis garde national ; mon bataillon sera sous les armes.
    — Comment ! toi, garde national ! Toi qui as commandé à la France !
    — Maintenant, j’obéis. Unum et idem.
    — Réponse de Romain, mon cher Mounier. Mais tu me permettras de te soustraire, pour demain, à cette obéissance fort inutile. Je vais te signer un billet de réquisition, et je t’attendrai vers midi. Nous recevrons ici les nouvelles. Si cela te convient, je serai bien aise de t’avoir avec moi ainsi que Gaillard, pour me régler sur vos avis. »
    « Et aussi, sans doute, pour me compromettre avec toi, rusé compagnon ! » pensa Claude. Il accepta néanmoins. Avait-il jamais reculé devant les risques ?
    Le 19 Brumaire, tandis que Naurissane, comme tout le Paris financier et politique partait pour Saint-Cloud, il alla aux Petits-Pères donner à enregistrer son billet de réquisition. Dans la grisaille de novembre, la ville offrait son aspect le plus ordinaire. Rien ne laissait supposer qu’une révolution fût en cours. Sitôt après dîner, Claude se rendit au ministère. Gaillard était là, Thurot à Saint-Cloud d’où il expédiait d’heure en heure des messagers : les seuls à pouvoir désormais franchir l’enceinte, car Fouché avait ordonné la fermeture des barrières et faisait garder étroitement les murs. Les voyageurs pour Saint-Cloud ne se doutaient pas qu’ils ne rentreraient point dans la capitale sans le consentement du ministre de la Police. Et, excepté lui, personne à Paris ne saurait comment tournaient les choses là-bas.
    Il ne s’y passait rien encore. Le château, où les tapissiers travaillaient depuis la veille, n’était pas prêt. Les députés, une foule de curieux dînaient dans les auberges voisines. Selon Thurot, on parlait très haut de coup d’État, de dictature militaire, de César, de Cromwell ; une minorité des Anciens et la majorité des Cinq-Cents paraissaient très montées contre les directeurs démissionnaires et contre le général.
    À deux heures après midi, Thurot signala que les Cinq-Cents étaient en séance. La situation se présentait fâcheusement : malgré les efforts de Lucien Bonaparte, président, le jacobin Delbrel venait d’obtenir que tous les députés eussent à renouveler leur serment de maintenir la Constitution. Les messagers suivants ne cessèrent d’apporter les nouvelles les plus désastreuses. De toute évidence, le général ne savait pas s’y prendre avec les assemblées délibérantes. Il avait réussi à irriter les Anciens par un discours vague et maladroit d’abord, ensuite incohérent. Puis il s’était fait huer, menacer, bousculer aux Cinq-Cents. Murat, avec quelques grenadiers, l’en avait tiré non sans peine, presque évanoui. « Ce Corse est un Jean-Foutre, dit Fouché. Tant

Weitere Kostenlose Bücher