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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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principal du royalisme. Au reste, que ne s’était-il pas accompli sous son gouvernement, en un si bref espace ! La faim disparue, les finances assainies, l’organisation administrative solidement fondée dans tout le pays, la Vendée pacifiée, l’Autriche écrasée à Montebello par Lannes, à Marengo par le Premier consul en personne après l’étonnant passage du Grand-Saint-Bernard, à Hohenlinden par Moreau, la paix signée à Lunéville avec le cabinet de Vienne, à Amiens avec l’Angleterre, le commerce, l’industrie renaissant, le bonheur promis par Fouché au lendemain du 19-Brumaire semblait décidément acquis. Bonaparte dispensait l’ordre, la gloire, la prospérité. Échappé par miracle à l’attentat de la rue Saint-Nicaise (heureusement que Claude et Lise n’y habitaient plus ! l’explosion de la machine infernale avait éventré leur ancien logement), il était l’idole de la Fiance. Et quand le Sénat conservateur proposa de le nommer consul à vie en remerciement de tant de bienfaits, comment n’eût-on pas approuvé cette mesure ?
    Peu après, Claude et sa femme, invités avec les Naurissane, soupèrent à la table du Premier consul. Plusieurs fois, au cours des deux années suivantes, ils retournèrent encore aux Tuileries, car Napoléon aimait attirer à lui les hommes célèbres et Claude était dès lors, à quarante-trois ans, l’un des trois grands maîtres du barreau reconstitué. Sa science judiciaire, son éloquence lui procuraient infiniment plus d’illustration que ne lui en avait valu son rôle politique. Le consul se plaisait à le faire parler là-dessus, sur les angoissantes journées de Germinal où Danton secouait des éclats de sa voix le Tribunal révolutionnaire, sur les nuits dramatiques du 9Thermidor. « Robespierre, déclara une fois Bonaparte, a été le bouc émissaire de la Révolution. À Nice, j’ai vu de longues lettres de lui à son frère, blâmant les horreurs des commissaires conventionnels qui perdaient, disait-il, la Révolution par leur tyrannie et leurs atrocités. Il voulait arrêter cela.
    — Assurément, acquiesça Claude, il voulait en finir avec Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, Vadier, Amar et les énergumènes de la Haute-Montagne, passer du gouvernement révolutionnaire au régime constitutionnel. Il a succombé dans cette suprême lutte à cause de sa candeur, car il était candide, au fond, et à cause d’une trop grande confiance en soi. Le 8 Thermidor, il a cru désarmer par un discours les conventionnels dont il menaçait la vie. Ils ont répondu, le 9, en le mettant hors la loi. N’est-il pas vrai, citoyen second consul ?
    — Oui, dit Cambacérès hochant sa tête majestueuse. Cela a été un procès jugé, mais non plaidé. Robespierre avait plus de suite et de conception qu’on le pense. Après avoir renversé les factions effrénées qu’il eut à combattre, son intention était le retour à l’ordre.
    — Voilà pourquoi, ajouta Claude, la Plaine l’a si longtemps soutenu. La légende d’une Convention terrorisée par Robespierre vient de Fréron, de Tallien, de Barras, de Léonard Bourdon, du « tas d’hommes perdus » qu’il terrifiait en effet. Mais ne vous y trompez pas, citoyen premier consul, Robespierre n’entendait pas, au contraire de Danton, « arrêter la Révolution » ; il entendait la conduire à ses fins : la liberté, l’égalité, la justice.
    — Bah ! fit Napoléon, un idéologue, comme tous vos jacobins !
    — En effet, un idéologue sans la moindre contrepartie de sens pratique, et avec une intolérance qui l’entraînait à établir sur les âmes le plus insupportable despotisme. Aussi ai-je dû me ranger du côté de ses ennemis, pour le sacrifier. »
    Ce n’était pas sans intention que Claude parlait à Bonaparte de despotisme. Car ici, dans ce même pavillon de Flore où le Comité de l’an II avait si rudement fondé et sauvé la république, on respirait à présent de singuliers relents de monarchie, une atmosphère de monarchie ressuscitante ; on voyait Napoléon glisser insensiblement du chef d’État au prince, les convenances tourner à l’étiquette, et une cour se reconstituer peu à peu.
    Au milieu de germinal an XII, c’est-à-dire dans les premiers jours de mai 18o4, Claude, sous un prétexte poli, refusa une nouvelle invitation. Ce ne fut point parce que le Premier consul avait fait arrêter, avec le chouan Cadoudal, Moreau et Pichegru qui

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