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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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conjuration était unanime. Cambacérès, ministre de la justice, y prêtait les mains ; seuls s’y opposaient Robert Lindet, ministre des Finances, Dubois-Crancé, ministre de la Guerre, lequel proposait à Gohier et à Moulin d’arrêter lui-même Bonaparte. Vaine énergie : les deux directeurs, blousés par Talleyrand et Fouché, tenaient cette histoire de conspiration pour un fagot.
    « Je suis bien aise de te voir, citoyen Mounier, dit fort gracieusement Napoléon, je te remercie d’être venu. Tu es un sage, un homme de bon conseil. Que penses-tu de la situation ?
    — Je pense comme Jourdan. Le pays te réclame, citoyen général ; nul ne le saurait nier. C’est le vœu du peuple, et le peuple est souverain. Si tu demeures pénétré des principes de 89, pour lesquels tu proclamais ton admiration en 95, tu peux sauver la république, comme tu l’as déjà sauvée à Toulon et au 13Vendémiaire, et assurer la prospérité de la France en fondant cette unité nationale que les luttes entre les partis ne nous ont pas permis de réaliser.
    — À la bonne heure ! s’exclama Napoléon. Tu m’as compris, citoyen. Je n’ai qu’un parti, je suis national. »
    La fin de l’anarchie, l’ordre, l’union, la grandeur et la gloire de la république formaient son seul but, expliqua-t-il. Un moment, il discourut d’abondance, bredouillant parfois dans la vivacité de son débit ; néanmoins ses idées étaient très claires, Il possédait sur toute chose les vues les plus profondes, les plus sagaces, les plus pratiques. Claude en fut frappé, lui qui avait tant déploré le vague, la perpétuelle improvisation de Danton, le manque de réalisme chez Robespierre.
    Par la porte du cabinet, demeurée ouverte, on apercevait Fouché qui venait d’entrer. Napoléon proposa d’aller le rejoindre. Le ministre saluait Gohier assis sur un sofa près de la citoyenne Bonaparte. Il la courtisait rondement. Elle l’y encourageait de toute sa grâce, voulant reconquérir son mari par son adresse à le servir. Le galant quinquagénaire, avec ses bajoues, son crâne à demi-chauve et, par-derrière, de longs cheveux gris tombant sur le collet de son manteau directorial, se rendait tout bonnement ridicule. « Quoi de neuf, citoyen ministre ? demanda-t-il.
    — De neuf, rien en vérité, rien. Toujours les mêmes bavardages, toujours la conspiration.
    — La conspiration ! » se récria Joséphine effrayée par l’audace de Fouché.
    Parler de corde dans la maison d’un pendu ! Le diable d’homme !
    « Oui, affirma-t-il, la conspiration. Mais je sais à quoi m’en tenir. J’y vois clair, citoyen directeur. Je ne suis pas de ceux que l’on attrape. S’il y avait conspiration, depuis le temps qu’on en parle on en aurait vu la preuve sur la place de Grève ou dans la plaine de Grenelle. »
    Comme Joséphine continuait de s’effrayer et protestait, Gohier, lui tapotant l’avant-bras, s’empressa de la rassurer : « Le ministre parle en homme qui sait son affaire ; dire ces choses-là devant nous, c’est prouver qu’il n’y a pas lieu d’y recourir. Faites comme le gouvernement, citoyenne : ne vous inquiétez pas de ces bruits, dormez tranquille. »
    « Tu t’es bien amusé, dit Claude à Fouché en partant avec lui dans l’équipage ministériel. Ne joues-tu pas un peu légèrement avec des choses graves ?
    — Bah ! il n’y a aucun risque. Nous ne sommes plus à la veille du 9Thermidor. Toutes les précautions sont prises, toutes les dispositions arrêtées. Le coup sera frappé après-demain. Les Anciens décideront le transfert des deux Comités à Saint-Cloud et nommeront Bonaparte au commandement de Paris.
    — Et si les Cinq-Cents résistent, si la conjuration échouait ? »
    Dans la pénombre qu’éclairaient au passage, d’instant en instant, les réverbères, Fouché fixa sur son ami ses yeux incolores. « Eh bien, je coffrerais tout le monde, Bonaparte et Sieyès, Barras et Gohier, et je constituerais moi-même un gouvernement national. »
    L’éventualité n’offrait rien de rassurant. Certes, l’ex-député de Nantes avait beaucoup grandi en dix-huit mois. Rien en lui ne rappelait plus l’obscur famélique de l’an V, loin de là ; c’était une puissance, et il se révélait plein d’autorité, extrêmement habile dans ses menées. Mais ne s’illusionnait-il pas, quand même, sur son pouvoir ? Claude attendit le 18 non sans inquiétude.
    Il en fut de ce

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