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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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jour-là comme du 18-Fructidor, deux ans plus tôt. La garde nationale demeura sur pied, sans cartouches, dans ses centres de rassemblement. Cela semblait décidément le nouveau système : on immobilisait les bataillons pour les empêcher de courir çà ou là, et la ligne accomplissait tranquillement sa besogne. Cette fois, une froide bruine de novembre ajoutait son désagrément à l’ennui de rester consigné ici, n’apprenant pas grand-chose. Le Directoire, racontait-on, avait démissionné après une violente diatribe du général Bonaparte acclamé par les soldats. Il occupait les Tuileries. Les deux Conseils se réuniraient demain, à Saint-Cloud, pour nommer un autre gouvernement dont le général serait le chef. Tous les bons bourgeois du bataillon approuvaient fort. À la Bourse voisine, le « tiers consolidé », cotant 11 francs 37 le matin, montait à 12,88 et marquait une tendance croissante à la hausse. Depuis la veille, Naurissane en achetait à tour de bras, pour lui, pour Claude qui n’en savait rien, pour Murat, Cambacérès, Lucien et Joseph Bonaparte, Lebrun, membre influent des Anciens, et autres clients de la banque.
    Pressé avant tout d’ôter son uniforme humide, Claude, sitôt libre, rentra chez lui. Lise revenait juste de chez M me  de Staël où Thérèse l’avait emmenée. L’inlassable ambassadrice, acquise avec tout son clan à Napoléon, se trouvait au carrefour des nouvelles. Claude les apprit en se changeant. Sieyès et Roger Ducos avaient dès le matin donné leur démission et rejoint Bonaparte. Après midi, Barras, malgré les exhortations de M me  Tallien, s’était résigné, moyennant cinq cent mille francs or, à signer la sienne que lui présentaient l’amiral Bruix et Talleyrand ; celui-ci le menaçait, s’il ne décampait aussitôt, de rendre publiques ses tractations avec le Prétendant. Il y allait de la tête, ni plus ni moins. Aussi l’ex-directeur roulait-il à cette heure vers sa terre de Grosbois, dans la propre voiture de Talleyrand escortée par cent dragons. Le général Moreau gardait à vue, au Luxembourg, Moulin et Gohier qui refusaient de se démettre mais ne représentaient et ne pouvaient plus rien. Le peuple, rue de Tournon, avait crié contre le Directoire, puis s’était dispersé de lui-même. Un calme complet régnait en ville.
    « Bonaparte, ajouta Lise, est retourné rue Chantereine. Tout paraît suspendu jusqu’à demain : ce qui semble inquiéter les familiers de M me  de Staël, en particulier son Benjamin. On craint des difficultés. Sieyès, dit-on, voulait faire arrêter les “Jacobins” des Cinq-Cents, mais Bonaparte n’a pas voulu. Talleyrand, son ami Montrond et le citoyen Constant le jugent bien peu décidé.
    — Soupons, veux-tu ? proposa Claude. Ensuite, j’irai voir Fouché. Personne, assurément, ne viendra ce soir, ni céans ni chez Louis. Tous les intéressés à la conjuration doivent déjà partir ou se préparer à partir pour Saint-Cloud, je gage. »
    Quai Voltaire, dans le majestueux hôtel où logeait autrefois Mgr de Juigné, le ministre de la Police buvait fort paisiblement une infusion de verveine, avec sa laide mais douce et aimable Bonne-Jeanne, son secrétaire Thurot, son ami Gaillard, ci-devant professeur comme lui à l’Oratoire. Le petit Joseph-Liberté, tout aussi roux que ses parents, jouait sur le tapis.
    « Thurot, dit Fouché, nous contait que Bonaparte parlait de fusiller ton cher Santerre.
    — Oh ! simple menace pour intimider les Jacobins, corrigea le secrétaire général. Santerre est un peu cousin de Moulin, et l’on a prétendu qu’il soulèverait le faubourg.
    — Je ne savais pas Santerre à Paris, dit Claude.
    — Si fait, mais il ne songe aucunement à soulever le peuple. D’ailleurs, nul ne le pourrait. Le peuple est las ; il veut la tranquillité, du pain, du travail. Il les attend de Bonaparte : voilà sa force. J’espère qu’il saura s’en servir », ajouta Fouché.
    Il entraîna son visiteur dans un cabinet sévèrement meublé d’acajou et de velours grenat. Là, marchant de long en large, il laissa paraître sa nervosité. « Tu voyais juste, une résistance se dessine. Cela n’a pas été mal aujourd’hui ; j’ai moi-même donné à Bonaparte, par l’intermédiaire de Réal, le conseil de refuser toute arrestation. Mais les Anciens faiblissent. À cette heure, les affiliés discutent avec Lucien, Sieyès, Roger Ducos, Gaudin, Lebrun, dans

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