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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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cinquante-deux barrières de la ville. On y établit du canon, et la garde nationale y prit faction jour et nuit. Claude connut de pénibles heures à la barrière de Clichy : la température allait de zéro à moins huit.
    Là-dessus, le 11 février à cinq heures du soir, la batterie des Invalides annonça une victoire dont le bulletin fut, peu après, lu dans tous les théâtres. C’en était bien une, cette fois. Napoléon avait, la veille, à Champaubert, coupé en deux l’armée russo-prussienne commandée par Blücher, pris quatre mille hommes de la division Olsuffiew, avec ce général lui-même, et toute son artillerie. Le 12, il récidivait à Montmirail, enlevant cinq mille prisonniers et poussant les Russes en désordre. Et le 14, à Vau-champs, il mettait Blücher en déroute, le poursuivant jusqu’à Châlons. Tous les soirs, les canons des Invalides grondaient. En quatre jours, la grande armée de Silésie avait perdu quarante mille hommes et cent pièces de campagne.
    Le 16, on vit arriver par le faubourg Saint-Martin le général Olsuffiew et deux autres officiers généraux ou supérieurs, encadrés par six gendarmes le sabre au poing. Les jours suivants, ce furent des colonnes de soldats russes et prussiens qui défilèrent sur les boulevards, l’air misérable dans leurs grandes capotes brunes, avec le numéro de leur régiment marqué sur les épaules, la plupart tête nue. La foule attirée par ce spectacle les prenait en pitié, elle leur distribuait du pain, de la charcuterie, de l’argent. Évidemment, les autorités voulaient impressionner la capitale en la faisant traverser par ces troupeaux de vaincus dirigés vers les départements de l’Ouest. Mais ce qui frappait encore plus c’était le nombre des blessés français affluant toujours et toujours par les barrières, dans des voitures de toute espèce. Les moins gravement atteints allaient à cheval, serrant autour d’eux leur manteau saupoudré de neige et taché de sang.
    Les hôpitaux contenaient déjà vingt mille de ces malheureux et n’en pouvaient plus recevoir. On dut évacuer la Salpêtrière pour en loger six mille, aménager les tueries récemment construites rue de Rochechouart et rue de la Pépinière ; leurs vastes étables devinrent des salles d’hôpital traversées de courants d’air, inchauffables, où les pulmoniques mouraient par dizaines. Tout manquait : les lits, les poêles, les ustensiles les plus nécessaires. Le préfet de police réclamait à ses compatriotes matelas, paillasses, traversins, draps, couvertures, chemises, charpie, compresses, argent, menaçant de mettre des blessés dans les maisons des particuliers riches qui ne répondraient pas à cet appel.
    La charpie, les bandes, les compresses, Lise, Thérèse, Claire, comme toutes leurs amies, et comme l’impératrice Joséphine, à Malmaison, ne cessaient d’en faire. Claude remit à la municipalité de son arrondissement une importante souscription pour les hôpitaux, et il demanda, en outre, à recevoir dans son hôtel six blessés ; car la chambre d’Antoine et les deux « chambres à donner » pouvaient fort bien contenir chacune deux lits. Un médecin militaire amena un vieux capitaine amputé et cinq « Marie-Louise », ces conscrits de 1815 qui s’étaient très bravement battus à Champaubert et à Montmirail. Ceux-ci, comme le capitaine, se trouvaient hors d’affaire ; il leur fallait simplement du repos, une douce température et une nourriture reconstituante. « À ce régime-là, dit le médecin, dans une douzaine de jours deux ou trois seront sur pied. Si vous le permettez, monsieur, je les remplacerai par d’autres convalescents, puisque vous voulez bien leur offrir ce que nous sommes le moins à même de leur donner. » L’un des adolescents, atteint d’un coup de lance, expliquait : « Cela ne me serait point arrivé si j’avais su me servir de mon fusil, seulement on n’a pas eu le temps de m’apprendre à le charger ; je devais combattre à la baïonnette, et la lance du cosaque était plus longue. » Tous les cinq désiraient avec ardeur se rétablir pour repartir à la bataille. « Nous ne voulons rien aux autres peuples, assuraient-ils, mais nous ne les souffrirons pas chez nous. Avec l’empereur, nous les jetterons dehors. » Ils idolâtraient Napoléon, qu’ils détestaient deux mois plus tôt. Il les enivrait de victoires inespérées.
    Leur héroïsme si simple remuait profondément

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