Les hommes perdus
composaient surtout de landwehr et d’enfants. À Cologne, la garnison en avait capturé vingt « dont l’air chétif fait la risée de tous ceux qui les voient ». Mais le 8 le commandant Morin, aide de camp de Bernard, expédié par lui aux Tuileries, vint, avant de repartir, remettre à M me la Maréchale un mot de son mari. Un simple billet rédigé rapidement : « Depuis le 1 er janvier, Blücher a passé le Rhin, de Coblentz à Manheim, avec 120 000 hommes environ. Son aile droite avance vers Nancy, ville sur laquelle je me replie pour n’être point isolé en Alsace, et pour me lier avec Macdonald. Lorsque la concentration des différents corps sera opérée, nous pourrons, je l’espère, tenir tête sur la Meuse, ou s’il le faut sur la Marne. Ne t’inquiète pas pour moi, ma chère amie, je me porte très bien. Je saisirai toutes les occasions de t’écrire ; cependant elles iront, sans doute, en se raréfiant, si elles manquaient ne te tracasse point…»
La nouvelle parut au Moniteur le 24 janvier seulement. Elle était périmée pour tout le monde. Chaque jour, le personnel des administrations départementales et de nombreux particuliers, fuyant devant l’invasion, arrivaient à Paris ; on savait de la sorte les coalisés non plus sur le Rhin mais bel et bien sur la Meuse et au-dessous. Ils occupaient Langres, Dijon, dépassaient Bar-le-Duc.
Le 25, l’empereur partit après avoir confié sa femme et son fils « au courage de la garde nationale parisienne » et nommé le roi Joseph, revenu d’Espagne, lieutenant général de l’Empire. La garde sédentaire, licenciée en 1804, avait été remise sur pied. À cinquante-quatre ans, Claude reprit donc l’uniforme, mais non pas d’abord le fusil parce que le général Hulin, commandant la division militaire, estimait absolument vain d’armer la garde nationale pour soutenir un régime dont il jugeait la fin imminente. Ce pessimisme – ou cet optimisme – était répandu. La police découvrit, place Vendôme, sur la base de la colonne sommée par la statue de Napoléon, une affiche : « Passez vite, il va tomber ! » Gay-Vernon affirmait que le duc de Rovigo, Savary, déménageait son hôtel de la rue Cerutti pour envoyer en province son précieux mobilier. Le conseil de Régence s’efforçait en vain de réveiller le sentiment national : dans les rues, les orgues de Barbarie jouaient la Marseillaise proscrite depuis l’instauration de l’Empire ; les journaux, par ordre également, dépeignaient avec abondance les méfaits des coalisés dans les départements envahis. On n’y croyait pas. L’indifférence régnait. Les Parisiens de toute classe se souciaient uniquement d’accumuler, chacun selon ses moyens, farine, riz, légumes secs, salaisons, pommes de terre, pour le cas où l’avance des Alliés rendrait difficile l’approvisionnement. Nul ne songeait qu’ils pussent attaquer la capitale, ni à résister s’ils se présentaient devant elle. Sur ordre du maréchal Moncey, major-général de la garde nationale, Hulin livra finalement quelques centaines de fusils d’ordonnance et deux ou trois mille fusils de chasse réquisitionnés ; mais toutes les mesures défensives se limitèrent, pour le moment, à des revues passées par le roi Joseph sur le Carrousel.
Brusquement, les choses changèrent. Les gazettes avaient donné comme une victoire la bataille de Brienne, livrée le 29 janvier par Napoléon à Blücher ; cependant les blessés qui affluèrent à Paris dans les premiers jours de février, révélèrent que les Prussiens et les Russes, arrêtés un jour au prix de très lourdes pertes, avaient dès le lendemain ressaisi l’avantage, percé toute la ligne, de Brienne à la Rothière, et marchaient sur Nogent où s’était retiré l’empereur. Ainsi une vingtaine de lieues au plus les séparaient de la capitale. À l’indifférence, succéda la panique parmi la bourgeoisie riche ou aisée. D’aucuns faisaient en hâte pratiquer des cachettes dans leur maison ou leur jardin pour enfouir l’argent et les objets de valeur. D’autres les portaient au Mont-de-Piété, pensant qu’ils y seraient davantage à l’abri. D’autres assiégeaient le bureau des passeports à la Préfecture de Police, dans l’intention de gagner la Normandie, la Touraine ou le Centre. Le gouvernement pourvoyait à la défense en élevant des barricades, avec des arbres abattus au bois de Boulogne, devant chacune des
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