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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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coûtait aux troupes françaises huit mille morts ou blessés. Ce même jour le comte Réal apprit à Claude la défection d’Élisa, la sœur aînée de Napoléon. Imitant son beau-frère Murat, la grande duchesse de Toscane s’était jointe aux coalisés. Le mercredi, la maréchale Delmay, Claudine, reçut de son mari un billet transmis par le colonel du 17 e  chasseurs, blessé et conduit à Paris. Bernard écrivait succinctement : « Le 7 au soir. – Je vais bien. Macdonald et Oudinot ont reculé de vingt-cinq lieues en huit jours et perdu six mille hommes ; à présent ils tiennent en avant de Provins. Je marche, à l’aile gauche de l’empereur, contre Blücher en retraite sur Laon. Si nous le saisissons là, il ne comptera plus. Napoléon est redevenu Bonaparte ; il accomplit chaque jour des prodiges. Je t’embrasse ainsi que les enfants, ma tendre amie. »
    Le 13 mars, Claude prenait à huit heures du matin la relève aux postes avancés qui couvraient la rotonde de la Villette, lorsqu’un peloton de cavaliers se présenta aux chicanes, escortant deux voitures. Dans l’une se trouvait le maréchal Victor, duc de Bellune, étendu sur des matelas ; dans l’autre, Bernard, assis, les yeux fermés, le visage crispé, un énorme pansement formant bosse sous le manteau à pèlerine. Claude se précipita, Bernard ouvrit les yeux et sourit avec effort. « Ne t’inquiète pas, dit-il, ce n’est rien : une balle sous l’omoplate. On n’a pu l’extraire, en campagne ; elle me fait un mal de chien, mais il n’y a aucun danger. Ce qui est grave, hélas, c’est qu’après deux jours de combats nous avons dû rompre, à Laon, devant des forces écrasantes. Les Alliés sont libres désormais de revenir sur Paris ; l’empereur pourra les ralentir, il n’a plus les moyens de les arrêter. Ah ! mon ami, n’étaient Claudine et les enfants j’aurais voulu que cette balle m’atteignît en pleine tête ; du moins n’aurais-je pas vu l’humiliation de notre patrie !
    — Je passerai chez toi au plus tôt, dit Claude en lui pressant la main. Va vite te faire enlever ce morceau de plomb.
    — Parbleu ! Mais l’âme est blessée plus que le corps. »
    La défaite se confirma le 14. La censure laissait les journaux avouer de grandes pertes en hommes et en matériel. « L’Empereur, ajoutaient-ils avec assurance, ne s’en porte pas moins vivement sur Reims occupé momentanément par une division russe. » Bernard, opéré, fiévreux, très abattu surtout, affirmait qu’à son sens la moitié au moins de l’artillerie et des équipages était restée entre les mains de l’ennemi. « Pour nous dégager, il nous a fallu sabrer comme de simples soldats ; c’est ainsi que Victor et moi avons écopé. » Sieyès vint, un instant. « Napoléon, dit-il, a écrit au conseil de Régence ; il demande soixante mille hommes, trente mille à prendre dans la garde nationale de Paris et trente mille où l’on pourra. Le conseil hésite, il finira par consentir. Cependant, on agite encore la question de la paix. Caulincourt négocie à Châtillon. Sur quelles bases ? Le Sénat l’ignore. »
    Le lendemain, Reims était repris. Les Invalides l’annoncèrent de leur voix grondante. Mais une division anglaise, détachée par Wellington qui chassait Soult en direction de Toulouse, était à Bordeaux avec le duc d’Angoulême ; la municipalité avait proclamé Louis XVIII. On l’apprit le 17. Le bourbonisme progressait à pas de géant. Des gens jetaient sur les places, dans les boutiques, des proclamations du Prétendant. Il promettait l’oubli du passé, l’établissement d’une monarchie tempérée. On les placardait, la police les arrachait, elles reparaissaient ailleurs. Le peuple y demeurait indifférent. La jeune Claire – elle allait atteindre ses dix-huit ans – concevait mal ces nouveautés. « Maman, qu’est cela, les Bourbons, le Prétendant ? » demanda-t-elle à Lise. Déjà Claire et Antoine, six ans plus tôt, avaient dû s’adapter à une chose fort étrange pour eux : le commencement des années non plus en vendémiaire mais en janvier, et à ces noms bizarres donnés aux mois qu’ils appelaient depuis l’enfance brumaire… nivôse… germinal… messidor, thermidor… De même, aujourd’hui les noms de Bourbons, Louis XVIII, comte de Provence, d’Artois, duc d’Angoulême, de Berry ne correspondaient à rien pour les jeunes gens nés après 1793. Au reste,

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