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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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d’une de ces armées à l’autre. Bonaparte, j’en jurerais, foncera là-dedans pour séparer ses adversaires, selon sa vieille tactique, tomber à droite sur Blücher, l’anéantir en un ou deux jours de combats, puis se jeter à gauche sur Wellington qui, lent, peu manœuvrier, n’aura pas le temps de secourir les Prussiens et sera écrasé à son tour, si toutefois il ne préfère se rembarquer au plus vite. Bien conduite, l’entreprise doit réussir. En ce début de campagne, je vois Napoléon gagnant. Mais ensuite il lui faudra repousser les Austro-Russes, et ce sera une tout autre affaire. »
    Au retour, en coupant l’avenue des Tuileries, Claude, Lise, Thérèse s’arrêtèrent un moment à regarder le feu d’artifice. Chez eux les attendait un billet griffonné par Gay-Vernon : « La Chambre des représentants a élu Lanjuinais président. Quel camouflet pour Bonaparte ! Furieux, il menace, prétend Fouché, de la dissoudre. » L’année précédente, Lanjuinais avait été, dans le Sénat, l’un des premiers à proposer la déchéance de l’empereur. Celui-ci, disait-on, aurait voulu faire présider les représentants par Lucien. Ce dont Claude doutait fort. Napoléon eût certainement préféré mettre là un de ses fidèles, peut-être Régnault de Saint-Jean d’Angély. On y plaçait un homme qu’il considérait comme son ennemi personnel.
    Néanmoins la Chambre ne fut pas dissoute et elle choisit pour vice-présidents le libéral Flaugergues, Dupont de l’Eure, le général Grenier, La Fayette qui avait refusé la pairie en déclarant : « Je ne vois dans Napoléon qu’un soldat venu de corps de garde en corps de garde jusqu’aux Tuileries. » Chose surprenante, l’empereur ratifia toutes ces nominations, celle de La Fayette comme celle de Lanjuinais. Pourtant il pouvait, constitutionnellement, s’y opposer. Pourquoi tant de tolérance chez lui ? Était-il métamorphosé quoiqu’en pensât Grégoire ? Ou se souciait-il en ce moment de la guerre seule, et se réservait-il, victorieux, de chasser une fois encore « les avocats », de ressaisir le pouvoir absolu ?
    Le 7, il se rendit au palais Bourbon où les deux Chambres réunies en une séance solennelle jurèrent devant lui obéissance à la Constitution, fidélité au souverain. Fernand Dubon était arrivé la veille pour participer à cette cérémonie. Elle lui produisit un assez bon effet. « Ce fut bien », dit-il, le soir, en famille. « Sans doute Napoléon a-t-il paru contraint d’abord. Au début de son discours, en prononçant ces mots : “Je viens parmi vous commencer la monarchie constitutionnelle”, il n’a pu cacher son irritation. Toute sa figure trahissait la violence qu’il se faisait. Il avait cette toux nerveuse dont les quintes nous annonçaient son humeur, déjà au camp de Boulogne, quand Villeneuve l’exaspérait avec ses lenteurs, ses incapacités. Mais la fin de sa harangue, un appel vraiment émouvant à la discipline patriotique, à l’union, enfin cette affirmation : “La cause sainte de la patrie triomphera”, lui ont valu les applaudissements de tous, pairs et représentants unanimes. Il est parti sous les acclamations. Il avait l’air rasséréné, très content. Pour ma part, je le crois sincère, je suis résolu à le soutenir sans restriction. Quant à l’aider ! La marine n’en possède aucun moyen. La flotte française compte en tout et pour tout un vaisseau en état de prendre la mer. Maudit soit Louis XVIII ! J’avais réussi à conserver à Cherbourg quatre frégates, et depuis le 20 mars le ministre Decrès en a fait réarmer sept dans différents ports. Un 74 anglais vient d’en attaquer et capturer une après un sanglant combat, en Méditerranée, l’empereur nous l’a dit tout à l’heure. Cela ne change rien, du reste ; réduits à un vaisseau et onze ou dix frégates, nous ne saurions empêcher les Anglais de renforcer comme il leur plaira leur corps expéditionnaire en Belgique, ni d’exécuter une descente sur notre littoral même, s’ils jugent la chose nécessaire. Notre épouvantable infériorité maritime nous rend esclaves. Vous m’estimez bien pessimiste ; mais, hélas, une nation qui a sept cent quatre-vingts lieues de côtes, sans la moindre flotte pour en interdire l’accès, est vaincue d’avance quand l’Angleterre se trouve au nombre de ses ennemis. Napoléon contiendra les envahisseurs au Nord, à l’Est, je veux le croire.

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