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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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rendez-vous sur cette latitude de 48 o  27’ où il se maintenait exactement. Comme ses navires s’effaçaient dans l’ombre et la grosse mer, Fernand ordonna de virer cap pour cap. On ferait de l’est toute la nuit sous le moins possible de toile, recommanda-t-il.
    Le 27 Prairial à l’aube, pas de Godams en vue. Le vent, qui s’était renversé après le coucher du soleil, comme chaque soir, hâlait dans l’ouest où il se fixerait comme la veille. Il semblait vouloir forcir, mais peu, le baromètre ne bougeait pas. Le troisième lieutenant, un aspirant de 1 re classe, achevant le dernier quart de nuit, n’avait rien à signaler. Fernand ne s’en émut nullement. Il redescendit déjeuner d’une tasse de café, de biscuit, se raser, puis alla songer sur la carte. Il était certain que Bridport ne quitterait point le parallèle d’Ouessant, voire que sa croisière ne devait guère dépasser le 8 e  degré de longitude. Aussi inscrivit-il dans le journal de bord : « Calculant que l’ennemi a viré pendant la nuit aux environs de 48 o 27’ 35" lat. N. et 8 o  longit. O., je vais l’attendre sur sa route pour l’attaquer si je puis. »
    Il raisonnait juste. Peu après sept heures du matin, les Anglais reparurent, filant droit vers la côte, vent arrière, toujours sur trois colonnes, avec les frégates en éventail. Ils avaient l’avantage du vent ; mais Fernand ne comptait pas engager encore une action. Il se contenta de les suivre de nouveau, à distance. Il voulait savoir ce qu’ils allaient faire. Revireraient-ils ? Reprendraient-ils, au contraire, leur station sous Ouessant ? Autrement dit, leur escadre croisait-elle par pure routine ? Très peu probable. Attendait-elle réellement un convoi ? Il importait fort de le vérifier, car un convoi dans ces parages signifiait : tentative de descente. Tout le monde savait bien que, depuis la perte des bouches de l’Escaut, l’Angleterre cherchait à n’importe quel prix une ouverture sur le continent.
    Sitôt après le dîner, à onze heures du matin, la question fut réglée. Les Godams avaient reviré, ils recommençaient leurs louvoiements plein ouest. Fernand connut alors clairement son devoir : 1 o  empêcher autant que possible lord Bridport de rallier un convoi ; 2 o  aviser l’amiral. Or le seul moyen, pour la République, de gêner Bridport consistait à le priver de ses frégates. « Peste ! marmonna le jeune commandant. Une contre deux, ça irait. Mais contre trois !…»
    Par l’escalier tribord, il descendit du château arrière sur le pont, et, par le passavant, gagna les haubans du grand mât. Agile comme un pilotin, il grimpa jusqu’aux barres de perroquet d’où il délogea la vigie pour prendre sa place. De l’avantage d’avoir des capitaines de vingt ans ! Le second, que les aspirants appelaient « le père Bay », eût été incapable de monter seulement dans la grand-hune, même en passant par le trou du chat.
    Vus de cette hauteur, les soulèvements des vagues s’aplanissaient. Lorsque la République se trouvait sur le dos d’une lame, le regard embrassait une vaste superficie. Calé contre le ton du mât et la caisse du perroquet, Fernand examina longuement à la lunette l’escadre anglaise qu’il découvrait, par moments, tout entière. Elle ne donnait aucun signe de l’avoir repéré, ou plutôt dédaignait-elle ce Jean Crapaud solitaire : un espion conservant avec prudence sa marge de sécurité. Si l’on courait sur lui, il s’enfuirait pour revenir un peu plus tard. À quoi bon s’en soucier ! Imperturbables, les trois colonnes faisaient de l’ouest par petites bordées. Elles remontaient en diagonale dans le vent, au plus près tribord amures, et soudain les quinze vaisseaux, contrebrassant tous ensemble, amuraient à bâbord. Ils prenaient la diagonale inverse, la suivaient pendant trois quarts d’heure puis brassaient de nouveau. C’était précis comme un mouvement d’horloge. Pas un seul ne déviait de la file. Fernand admirait cette régularité, ce parfait accord. Ah ! si les équipages des vaisseaux français avaient su naviguer ainsi en divisions !… Parfois, la plus lointaine paraissait s’engloutir, vaisseau après vaisseau, dans un creux, puis les huniers – au bas ris, maintenant –, les basses voiles, les gaillards resurgissaient sous le ciel terne où couraient des grains. Les frégates louvoyaient, elles aussi, mais fort en avant et à grandes bordées. La

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