Les hommes perdus
approvisionnements, les ressources en hommes, les communications avec la mer largement assurés, on aurait tout loisir d’organiser les troupes irrégulières.
Ce plan ne convenait nullement à d’Hervilly, premièrement parce que le colonel, faute de ne pouvoir ne point du tout agir, n’était pas du tout pressé d’agir ; deuxièmement parce que, contraint de faire quelque chose, il ne voulait le faire qu’en conformité avec les règles les plus traditionnelles. Pour lui, il fallait d’abord organiser les troupes, c’est-à-dire porter les régiments à leur effectif normal en complétant les bataillons au moyen de chouans disciplinés, former les autres en compagnies, les encadrer. Alors seulement on s’avancerait, en lançant des reconnaissances et en prenant des positions, comme l’exigeait l’art militaire bien compris.
« L’art militaire n’a point place ici, répondit Puisaye trouvant de l’éloquence dans le feu de la colère. C’est la guerre de partisans que nous devons mener. Aller vite importe par-dessus tout, même s’il nous faut courir des risques, d’ailleurs minimes en ce moment.
— Vous les courrez, monsieur, s’il vous convient. Quant à moi, je ne suis pas revenu en France pour chouanner. Commandant les troupes régulières, responsable d’elles devant le gouvernement anglais, je ne les risquerai qu’à bon escient, et non pas sans les avoir complétées. Au reste, aucune entreprise sérieuse ne saurait être tentée avant l’arrivée de la seconde division.
— Tel n’est point mon avis, et je me permettrai, monsieur, de vous faire observer que votre autorité sur les troupes embarquées a cessé au moment où elles ont pris terre. Vous commandez votre seul régiment. Cette expédition n’a qu’un chef : moi-même, s’il vous plaît. Je vous serai obligé de bien vouloir vous soumettre, comme les autres colonels, à mes décisions.
— Veuillez m’excuser, monsieur, mais je n’en ferai assurément rien, répliqua le petit homme à demi-suffoqué par la fureur. Je tiens ma commission de milord Windham et n’ai d’ordres à recevoir que de lui.
— Vous le prétendez maintenant, monsieur. Fort bien, c’est ce que nous verrons. »
Là-dessus, tandis que Contades s’efforçait d’apaiser le colonel, Puisaye alla écrire à Londres, demandant une confirmation précise de ses pouvoirs. Le commodore Warren détacha un cutter pour porter ce message. La réponse ne parviendrait pas avant une douzaine de jours. En attendant, Puisaye employa les moyens dont il disposait. Avec neuf mille chouans, il composa trois corps. L’un, de deux mille cinq cents hommes sous les ordres de Tinténiac, fut envoyé sur la gauche, à Landévant, pour occuper la route de Lorient. Du Bois-Berthelot mena le second, de la même force, sur Auray, à droite. Le dernier, gros de quatre mille hommes commandés par Vauban qui eut autorité supérieure sur les trois corps, prit position au centre, à Mendon. Vauban pouvait ainsi, selon les circonstances, renforcer par des détachements Tinténiac ou Bois-Berthelot. Après bien des tergiversations, d’Hervilly consentit à lui confier un bataillon afin de soutenir le courage des chouans.
Mille autres restaient, dont Puisaye comptait se servir pour s’emparer du fort Penthièvre. Il était essentiel, en effet, d’enlever cet ouvrage. Une fois en sa possession, on devenait maître de la presqu’île, et celle-ci, défendue des deux côtés par les vaisseaux anglais, formait une base inexpugnable, plus commode que n’importe quel port. D’Hervilly, voyant là une retraite assurée, accepta de s’associer à l’entreprise. Warren aussi. Il appuierait l’attaque avec tous les feux de son escadre. La canonnade commença le 1 er juillet. Cinq jours s’étaient écoulés depuis le débarquement. Le 3, au moment où les régiments et les chouans, massés sur la Falaise, allaient donner l’assaut, la garnison – plus éprouvée par la faim que par les boulets – capitula.
Mais, dans le même temps, Hoche, avec des forces encore peu nombreuses, chassait d’Auray Bois-Berthelot et Tinténiac de Landévant. Les chouans ne tenaient pas devant des troupes de ligne. Or d’Hervilly avait rappelé ses quatre cents soldats. Voulant se porter au secours de Tinténiac, Vauban tomba en pleine déroute. À leur tour, ses paysans en habit rouge se débandèrent. Il eut la plus grande peine à rallier les trois corps aux abords de Carnac.
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