Les hommes perdus
hardes et menus objets saisis à la hâte, fuyaient leurs chaumières par crainte des représailles. Pour permettre à ce troupeau en panique de s’écouler par la bande sablonneuse que la mer léchait des deux côtés, Cadoudal, Mercier-la-Vendée, Bois-Berthelot, Lantivy et tous les chefs chouans, ralliant les combattants les plus résolus, s’efforcèrent, sous la direction de Vauban, de retarder les colonnes bleues qui s’avançaient sous leurs drapeaux tricolores, tambours battants. Rien d’autre n’était à espérer. Il fallut bientôt abandonner les hauteurs de Sainte-Barbe pour ne s’y trouver point encerclé, faire front sur la Falaise même en reculant pied à pied devant les boulets et les balles. Warren, heureusement, vint à la rescousse. Déjà ses chaloupes canonnières, bordant de près le rivage, avaient pris à partie les républicains, sitôt ceux-ci à portée. Pendant ce temps, le commodore envoyait deux 32, calant peu d’eau, s’embosser sur les petits fonds, de part et d’autre de l’isthme. Croisant leurs feux, ils tendirent un infranchissable rideau de fonte qui contraignit les assaillants à se retirer sur Sainte-Barbe.
La horde fugitive se pressait contre les barricades dressées sous le fort Penthièvre pour en compléter les défenses. Les émigrés, n’entendant pas s’embarrasser de cette foule, lui refusaient l’entrée dans la presqu’île. Ils n’osèrent cependant pas la menacer de leurs armes quand les chouans, furieux, bousculèrent madriers et gabions. Le flot s’écoula. D’Hervilly arrivait enfin de Quiberon à la tête de son régiment. Vauban, qui rentrait avec ses braves soutenant ou portant des blessés, l’apostropha : « Il est bien temps, monsieur ! Nous avons tout perdu par votre faute. Je vous en avertis, je vous demanderai compte de votre conduite devant un conseil de guerre. »
La situation, en effet, était grave. Certes, la presqu’île demeurait imprenable ; mais on s’y trouvait désormais bloqué. Les « bleus », sans perdre un instant, hissaient des canons sur Sainte-Barbe et se mettaient à fortifier la position. Ils ne possédaient, pour le moment, que des pièces de campagne, incapables d’atteindre le fort, mais suffisantes pour interdire tout passage. Et l’on avait maintenant à caser, à nourrir quinze mille personnes de plus, dans les villages, les hameaux déjà encombrés par les soldats. La plupart de ces malheureux paysans restèrent sans abri.
Les émigrés ne cachaient pas leur sentiment. Puisaye les avait fourvoyés dans une aventure sans espoir ; il fallait se rembarquer au plus tôt. Mais, opposant à leurs plaintes une force d’inertie qui agaçait Contades, il ne renonçait pas. Examinant Sainte-Barbe, il voyait les républicains travailler comme des fourmis pour élever un long retranchement flanqué de redoutes. Les officiers eux-mêmes, nu-tête, en bras de chemise, distingués uniquement par le hausse-col de cuivre, maniaient la pelle et la pioche avec leurs soldats. Puisaye résolut de contrecarrer ces terrassements par une sortie nocturne. Elle échoua. Les sentinelles veillaient attentivement. Elles donnèrent l’alarme. Les canons balayèrent à mitraille la Falaise. D’Hervilly, qui allait les dépasser, se replia sans tenter un nouvel effort. On dut se retirer.
Alors le comte combina une vaste manœuvre. Avec l’élite des chouans, il forma deux corps de débarquement. L’un, de quatre mille hommes commandés par Tinténiac, avec Cadoudal, Allègre et Mercier-la-Vendée sous ses ordres, serait transporté à Sarzeau sur le golfe du Morbihan. L’autre, de trois mille hommes confiés à Lantivy et Jean-Jean, prendrait terre aux environs de Quimper. Tous deux, parcourant le pays sur les derrières du général Hoche, rallieraient les chefs chouans dont on était sans nouvelles, et, après avoir opéré leur jonction à Baud, entre l’Elven et le Blavet, le 14 juillet, marcheraient avec toutes les forces réunies, sur Erdeven, Corcoro et Plouharnel pour prendre à revers Hoche dans son camp de Sainte-Barbe que les troupes restées dans la presqu’île attaqueraient de front le 16 au matin.
L’entreprise réussit d’abord fort bien. Tinténiac, débarqué sans anicroche à Sarzeau, contourna Vannes et, enlevant sur sa route les petits postes républicains, parvint rapidement à Elven. Mais là le chevalier de Margadel, agent de Brottier et Lemaître, lui enjoignit, au nom du Roi, de se
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