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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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arboré comme signal sur le Mont-Saint-Michel était la chemise même de Tinténiac. Il serait ici en personne sous peu.
    Effectivement, au bout d’une heure Tinténiac déboucha, menant quatre cents hommes, suivi par du Bois-Berthelot et la Béraudière avec cinq cents chacun. Tous criaient à pleins poumons : « Vive le Roi ! », acclamaient les émigrés et manifestaient un enthousiasme touchant. « La Bretagne entière est comme nous, assuraient-ils. Marchez seulement et vous verrez. » Puisaye ne cachait pas sa joie. Sir Warren la partageait. La plupart des émigrés étaient dans l’allégresse. Quelques gentilshommes cependant s’accommodaient mal de ces gens aux trois quarts sauvages dont les transports, la familiarité les offusquaient. Quant au colonel d’Hervilly, très à l’écart, l’air sévère et soucieux, il surveillait la mise à terre de son régiment qui débarquait avec celui d’Hector et l’artillerie. Il le mit en bataille, l’alignant avec un soin méticuleux, sans prendre part à la joie générale.
    Derrière les chouans, étaient venus les habitants de Carnac, les paysans du voisinage. Il en arrivait de Saint-Colomban, de Kervinio, de la Trinité. La foule croissait sans cesse, se mêlait aux soldats, portait partout l’enthousiasme et le désordre. Des enfants, des vieillards, des femmes s’avançaient dans l’eau jusqu’aux genoux, jusqu’à la taille, pour aider au déchargement des caisses d’armes, de munitions, d’habits. Les cultivateurs apportant en abondance dans leurs carrioles les nourritures dont ils sevraient les « bleus », quelques-uns poussant même devant eux leur bétail, ajoutaient à la cohue. On eût dit tout ensemble une foire et une scène de pillage, beaucoup plus qu’un débarquement militaire. D’Hervilly en était profondément choqué, et, parmi les officiers volontaires, d’aucuns ne dissimulaient plus leur dégoût pour ces rustres en sabots, en braies, vêtus de peaux de chèvre, qu’ils allaient avoir à commander. Quels soldats ! Certains, dans leur hâte à recevoir des fusils, se bousculaient afin d’atteindre les caisses déposées sur le sable. D’Hervilly voulant les mettre au pas, ils répliquèrent avec leurs pen-bas aux sergents qui levaient sur eux la canne. Une rixe faillit s’ensuivre. Furieux, le petit colonel fit battre le rappel et déclara qu’il allait rembarquer son régiment si ce désordre ne cessait pas. Puisaye réussit à calmer les antagonistes en leur faisant crier ensemble : « Vive le Roi ! Vive la religion ! » L’évêque, amené à terre avec son clergé, entraîna tout le monde au-delà du village, dans la lande où se dressaient en files les pierres druidiques. Là furent célébrés un service funèbre pour l’enfant du Temple, dont les émigrés venaient d’apprendre la mort, et un Te Deum en l’honneur de Louis XVIII.
    Mais il était désormais évident que M. de Puisaye et le colonel d’Hervilly ne pouvaient s’entendre. Reconnaissant son défaut de jugement, Contades renonça non sans peine au commandement de l’avant-garde pour prendre le poste de major général, comme l’en pria Puisaye, afin de servir d’intermédiaire conciliant entre le chef de l’expédition et le commandant des troupes.
    Pendant deux jours, on arma et on habilla, avec les uniformes rouges fournis par le gouvernement anglais, les chouans qui gagnaient Carnac isolément ou en groupes. Georges Cadoudal, Mercier-la-Vendée étant arrivés avec leurs bandes, les insurgés se trouvèrent dix mille environ. Il ne devait point s’en présenter davantage, parce que des émissaires parisiens apportaient aux autres chefs, notamment à ceux du bas Maine, prêts à rallier Puisaye, l’avis suivant : « au nom du roi, il vous est enjoint de ne vous soulever que lorsque vous recevrez une nouvelle commission du conseil des Princes. Ce serait exposer le pays que vous commandez et vous-même à de graves inconvénients, que d’outrepasser l’ordre ci-joint. Au nom du conseil de l’agence royale. Signé BROTTIER . »
    Dix mille hommes, plus les quatre mille des régiments suffisaient pour exécuter le plan de Puisaye : marcher vivement sur Vannes et sur Rennes sans laisser aux républicains le temps de réagir avec efficacité ; renforcé par les bandes qu’on lèverait au passage, pousser vers la Mayenne et s’établir solidement derrière elle. Là, maître d’un territoire de quarante lieues, les

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