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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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en bordure aucun découvert. On allait un par un, sans rien voir parmi ces ténèbres, hormis la confuse pâleur des rouleaux écumeux qui venaient se briser sur les guêtres, et l’X blanchâtre des buffleteries croisées dans le dos du voisin. L’Océan ronflait, le vent ululait, emplissant les oreilles. Il fallait hurler pour se passer l’ordre : « Les gibernes au bout des baïonnettes. » Chacun, au moment de contourner la paroi à pic, avertissait le suivant : « Attention, c’est profond ! » et, se cramponnant d’une main, élevant de l’autre le fusil, on s’enfonçait non point jusqu’à la taille mais jusqu’aux aisselles. Les lames vous jetaient contre la roche, le ressac vous éclatait en pleine figure, vous aveuglait, vous suffoquait, vous repoussait traîtreusement vers le large. Des hommes perdirent pied, furent emportés, mais la plupart passaient et, atteignant les entassements de rocs, les escaladaient derrière Ménage et les guides.
    Sur les dunes de la Falaise, la compagnie rouge avait liquidé l’une après l’autre les sentinelles en grand-garde. Hoche et Lemoine la suivaient avec les deux demi-brigades lorsqu’elle parvint devant les barricades. Là aussi, les habits écarlates, le mot firent merveille. La fausse patrouille commença de franchir les chicanes gabionnées. Soudain, des coups de feu, des cris étouffés par le vent éclatèrent en haut de la tour. Les guetteurs avaient discerné sur le vague blanchoiement des sables une masse plus obscure, en mouvement. Aussitôt le fort s’anima. Les parapets se garnirent de tireurs ; les canonniers, qui veillaient auprès de leurs pièces chargées, allumèrent les boutefeux. Balles, boulets, mitraille accueillirent rudement les demi-brigades. Sans barguiner, la compagnie rouge était tombée sur le poste de garde et, lui réglant son compte, assurait à Hoche cette entrée dans l’enceinte avancée. Encore faillait-il progresser jusque-là sous l’averse de plomb et de fonte. Au milieu de la nuit illuminée, par la fulguration continue de la poudre, les hommes hésitaient, se bousculaient en reculant. La confusion allait se mettre dans les rangs. Hoche ramena les deux colonnes un peu en arrière, fit rompre les bataillons par sections pour offrir moins de prise aux projectiles. Les tambours battirent la charge. Rouget de Lisle, agitant son chapeau, l’épée brandie, clamait : « En avant ! En avant ! »
    Tout à coup, comme les têtes de colonnes s’élançaient sous le feu, celui du fort supérieur cessa. De nouveaux cris, des appels, un tumulte retentissaient dans la citadelle. Ménage et ses grenadiers venaient d’y déboucher. Avec tous les républicains de l’intérieur, ils fondaient sur les royalistes, les massacraient. Hoche, pressant l’assaut, n’eut aucune peine à emporter les remparts.
    La canonnade avait alerté Contades. Il se rendit à toute bride au fort, pour le voir envahi. Tout en essayant vainement d’organiser une contre-attaque, il avertit Puisaye. Quand celui-ci arriva de Quiberon, avec Vauban et des troupes hâtivement rassemblées, les lueurs d’une aube sale et lugubre montraient le drapeau tricolore flottant sur la tour. Une cohue de chouans, de soldats en désordre, de blessés, d’officiers abandonnés par leurs hommes couvrait le nord de la presqu’île et refluait pêle-mêle devant les bleus. Car Hoche, rejoint par Grouchy et Humbert, les avait sur-le-champ lancés au long des deux rivages pour couper aux vaincus la retraite vers les navires anglais. Lui-même, laissant Lemoine occuper le fort Sans-Culotte, marchait droit sur Quiberon, à sept kilomètres au sud. Vauban accomplit un effort héroïque pour l’arrêter en avant de Saint-Julien ; mais les républicains du régiment d’Hervilly, amené par Puisaye parmi ses troupes, tirèrent sur les autres bataillons, tuèrent le nouveau colonel, et, crosse en l’air, criant : « Vive la République ! » coururent grossir les rangs de l’ennemi.
    Dans le petit jour livide, plombé par de lourds nuages qui s’effrangeaient aux ailes des moulins sur les buttes, les familles réfugiées, les chouans, tous en pleine panique, se précipitaient çà et là, entraînant les soldats perdus dans ce troupeau, incapables de se rallier. Sombreuil, en réserve au-delà de Saint-Julien avec la plus grande partie des régiments à cocarde noire : mille hommes environ, fut emporté par le flot qui roulait Vauban, Contades,

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