Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
traiter
avec un capitaine de navire qui les débarqua à Villefranche, d’où
ils se rendirent à Nice puis à Genève. Leur entrée dans cette ville
huguenote, si hospitalière pour nos réfugiés, fut un véritable
triomphe. La population tout entière vint au-devant d’eux, précédée
de ses magistrats, et chacun se disputa l’honneur de loger les
martyrs de la foi protestante.
Peu de temps après, une députation des libérés
partait pour l’Angleterre et fut présentée à la reine Anne par de
Rochegude et par le comte de Miramont, un des plus remuants de nos
réfugiés. Bancillon, un des forçats mis en liberté qui faisaient
partie de la députation, conte que
la bonne reine
dit à
M. de Rochegude : « Voila donc tous les
galériens élargis » ; et qu’elle fut fort surprise quand
celui-ci lui répondit qu’il y en avait encore un grand nombre sur
les galères du roi. Il lui remit la liste des
oubliés ;
et elle promit d’agir de nouveau pour
obtenir la liberté de tous les forçats pour la foi. Cette fois le
grand roi dut s’exécuter complètement, et en 1714, on relâcha tous
les galériens condamnés pour cause de religion, parmi lesquels se
trouvait, entre autres, Vincent qui, depuis douze ans, avait fini
le temps de galères auquel les juges l’avaient condamné.
De nouvelles condamnations furent prononcées
bientôt contre les protestants ayant assisté à des assemblées de
prières, si bien que, sous la régence, on eut encore à faire de
nouvelles mises en liberté de forçats pour la foi. Puis, à partir
de 1724, on recommença à appliquer les édits du grand roi avec tant
de rigueur que les bagnes se peuplèrent de nouveau de
huguenots.
Mais le sort des galériens était devenu moins
dur par suite de la transformation du matériel maritime de la
France ; en effet, sous la régence on avait mis à la réforme
les deux tiers des galères. Il y en avait encore quelques-unes sous
Louis XVI, mais elles ne servaient plus que pour la parade, pour
les voyages des princes et des hauts personnages, en sorte que les
galériens étaient rarement soumis au dur supplice de la vogue.
Jusqu’au dernier moment, l’administration et
la justice françaises s’obstinèrent à envoyer les gens aux galères
pour cause de religion, si bien que, de 1685 à 1762, plus de sept
mille huguenots furent mis au bagne. En 1763, au lendemain du jour
où venait d’être prononcée la dernière condamnation aux galères
pour cause de religion, le secrétaire d’État, Saint-Florentin (pour
repousser la demande de mise en liberté de trente-sept forçats pour
la foi, faite par le duc de Belford) disait : « Je n’ai
pas entendu dire que nous ayons demandé grâce pour des catholiques
condamnés en Angleterre, pour avoir contrevenu aux lois du pays.
Les Anglais ne devraient donc pas solliciter en faveur des
religionnaires français condamnés pour avoir contrevenu aux
nôtres. »
Le progrès de l’esprit de tolérance en France
finit par avoir raison de l’obstination des administrateurs à
vouloir appliquer les édits de Louis XIV, impudente violation de la
liberté de conscience.
En 1769, le duc de Brunswick crut avoir obtenu
la liberté du dernier galérien, condamné pour cause de
religion ; c’était un vieillard de quatre-vingts ans.
« Ce pauvre infortuné, écrivait le pasteur Tessier, sent à
peine son bonheur à cause de son âge. »
Il restait encore cependant deux forçats pour
la foi, oubliés au bagne depuis trente ans. M. Eymar, que
Court avait chargé d’obtenir leur grâce, dit qu’ils jouissaient de
la plus grande faveur, pouvant aller librement et sans gardes,
exercer en ville une profession lucrative ; « en un mot,
dit-il, ils ne portaient plus du galérien que le titre et la
livrée ; d’un autre côté, ils avaient perdu de vue, pendant
leur long esclavage, leur famille et leur pays ; leurs biens
avaient été confisqués, dilapidés ou vendus… Que retrouveraient-ils
en échange de l’aisance assurée qu’ils allaient perdre, si ce n’est
l’abandon et peut-être la mendicité ? » Aussi, quand
M. Eymar annonça à ces deux vieillards qu’ils étaient graciés,
il les vit accueillir cette bonne nouvelle avec la plus froide
indifférence.
« Je les vis même
,
dit-il
,
pleurer leurs fers et regretter leur
liberté
. »Heureusement que la Société de secours, établie
à Marseille pour les galériens, existait encore ; elle put
fournir à ces
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