Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
affaire, écrit :
« Il est fâcheux que Paris devienne l’asile et l’entrepôt des
protestants inquiets
qui n’aiment pas à se faire
instruire
, et qui veulent se mettre à couvert d’une
inquisition qui leur parait trop exacte. »
C’est que ces protestants
inquiets
,
en dépit des espions, trouvaient là plus de facilité à préparer
leur fuite.
Il y avait à Paris d’habiles spéculateurs qui
savaient déjouer la surveillance des agents du gouvernement, et qui
avaient organisé un service régulier d’émigration. Ils confiaient
les fugitifs à des guides expérimentés, connaissant les dangers du
voyage et sachant les éviter habilement ; les fugitifs,
passant de main en main, et d’étape en étape, arrivaient presque
toujours à franchir heureusement la frontière.
Une note de police, trouvée dans les papiers
de la Reynie, donne les détails suivants sur le service parisien de
l’émigration :
« Pour sortir de Paris, les réformés,
c’est les jours de marché à minuit à cause de la commodité des
barrières que l’on ouvre plus facilement que les autres jours, et
ils arrivent devant le jour, proche Senlis qu’ils laissent à main
gauche. Il en est d’autres qui vont jusqu’à Saint-Quentin, et qui
n’y entrent que les jours de marché, dans la confusion du moment.
Et, y étant, ils ont une maison de rendez-vous où ils se retirent,
et où les guides les viennent prendre. Pour les faire sortir, ils
les habillent en paysans ou paysannes, menant devant eux des bêtes
asines. Ils se détournent du chemin et des guides, qui sont
ordinairement deux ou trois. L’un va devant pour passer, et, s’il
ne rencontre personne, l’autre suit ; s’il rencontre du monde,
l’autre qui suit voit et entend parler, et, suivant ce qu’il voit
et entend de mauvais, il retourne sur ses pas trouver les
huguenots, et ils les mènent par un autre passage. »
C’étaient en général des huguenots appartenant
à la riche bourgeoisie qui venaient résider à Paris pour attendre
l’occasion de prendre le chemin de l’étranger.
Mais ce n’était point par Paris que passait le
gros de l’émigration, le plus grand nombre de ceux qui voulaient
gagner les pays étrangers, partaient de chez eux, pour se rendre
directement au point du littoral ou de la frontière de terre
(souvent fort éloignée du Lieu de leur résidence), qu’ils avaient
choisi pour y opérer leur sortie du royaume.
Quand ils étaient parvenus à sortir de chez
eux, sans avoir attiré l’attention de leurs voisins, il leur
fallait user d’habiletés infinies pour éviter les dangers
renaissants à chaque pas du voyage. Il n’y avait ni bourg, ni
hameau, ni pont, ni gué de rivière, où il n’y eût des gens apostés
pour observer les passants. Il fallait donc, pour gagner la
frontière, éloignée parfois de quatre lieues du point de départ, ne
marcher que la nuit, non par les grandes routes, si bien
surveillées, mais par des sentiers écartés et par des chemins
presque impraticables, puis se cacher le jour, dans des bois, dans
des cavernes ou dans des granges isolées.
Nulle part, on n’aurait consenti à donner un
abri aux fugitifs ; les châteaux et les maisons des
religionnaires et des nouveaux convertis étaient surveillés
étroitement. Les aubergistes refusaient de loger ceux qui ne
pouvaient leur présenter, soit un passeport, soit tout au moins, un
billet des autorités locales. Il y avait contre celui qui logeait
un huguenot des pénalités pécuniaires s’élevant jusqu’à 3 000 et
même 6000 livres, et celui qui, en donnant asile à un huguenot,
était convaincu d’avoir voulu favoriser son évasion du royaume,
était passible des galères, ou même de peine de mort. Parfois,
l’église venant en aide à la police, menaçait d’excommunication
quiconque avait donné asile ou prêté la moindre assistance à un
huguenot cherchant à sortir du royaume.
Voici une pièce constatant cette intervention
singulière de l’Église :
Monitoire fait, par Cherouvrier des Grassires,
grand vicaire et official de Monseigneur l’évêque de Nantes, de la
part du procureur du roi et adressé à tous recteurs, vicaires,
prêtres ou notaires apostoliques du diocèse : « Se
complaignant à ceux et à celles qui savent et ont connaissance que
certains particuliers, faisant profession de la religion prétendue
réformée, quoiqu’ils en eussent ci-devant fait l’abjuration, se
seraient absentés et sortis
Weitere Kostenlose Bücher