Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
immense d’hommes
vivants
, qui s’ouvrit
tout à coup, fut une proie. Le roi jeta par les fenêtres ; on
se baissa pour ramasser. Scène ignoble ! … La vie de cour
ruinait la noblesse. On n’osait sonder les fortunes ; on n’eût
vu dessous que l’abîme. Le Roi, obligeamment interdit la publicité
des hypothèques, qui eût mis à jour cette
gueuserie
des
grands seigneurs. Ruinés par le jeu, les loteries, la plupart
attendaient un coup du sort pour remonter. Plusieurs faisaient le
sort au lieu d’attendre,
ou en volant au jeu
,
ou par
la poudre de succession
. Les plus hauts mendiaient, du lever,
au coucher, dévalisaient le roi de tout ce qui venait, office ou
bénéfice. Mais tout cela, des bribes, des miettes ! Ils
périssaient, s’il ne tombait d’en haut une grande manne imprévue,
quelque vaste confiscation.
« Le miracle apparut au ciel en 1685. Six
cents temples ayant été détruits, leurs biens, celui des pauvres,
des maisons de charité, devaient passer aux hôpitaux catholiques…
La cour visait ce morceau. Les jésuites crurent prudent de demander
et faire décider que ces biens revinssent, non aux hôpitaux, mais
au roi, autrement dit à ceux qu’il favoriserait ou qui mériteraient
en poussant à la persécution… Après les biens des temples, ceux des
particuliers suivirent ; chacun fut ardent à la proie. Ce fut
un gouffre ouvert, une mêlée où l’on se jeta pour profiter du
torrent qui passait, ramasser les lambeaux sanglants. »
Avant Louis XIV, Anne d’Autriche avait déjà
endetté le trésor public par ses magnificences, les privilèges, les
monopoles qu’elle accordait à son entourage de hauts
mendiants ; à une dame de sa cour elle avait donné un droit
d’impôt sur toutes les messes dites à Paris ; à sa première
femme de chambre, la Beauvais ; elle avait un jour,
inconsidérément, donné
les cinq grosses fermes
,
c’est-à-dire tous les impôts productifs faisant vivre la cour, et
cela en croyant ne lui faire cadeau que d’une ferme appelée
les
Cinq fermes
. Et, dit Madame, mère du régent, on a sur la
régence d’Anne d’Autriche bien d’autres historiettes de ce
genre.
Tandis que le peuple, décimé par des famines
périodiques, mourait de faim sur les grands chemins, Louis XIV
jetait l’argent par les fenêtres, à l’exemple de sa mère ; et
les courtisans avaient soin de se trouver sous ce qu’il
jetait : à Mme d’Harcourt, le bien d’un suicidé ; au
comte de Marsan, la succession d’un bourgeois de Paris, bâtard mort
sans enfants ; à de Guiche, le produit de la confiscation des
biens possédés par les Hollandais, en Poitou, pour prix de la
dénonciation qu’il avait faite ; à de Grammont, deux cent
mille livres pour l’avis qu’il a donné au contrôleur général, des
malversations commises par les fournisseurs des troupes d’Alsace.
Monsieur, frère du roi, reçoit plus d’un million pour avoir demandé
la poursuite des trésoriers de l’extraordinaire, à qui l’on fait
rendre gorge ; c’étaient chaque jour de grosses gratifications
aux courtisans, à l’occasion du mariage de leurs filles, ou sous
tout autre prétexte ; les dettes de jeu de Monsieur, ou de la
Montespan, à payer ; celle-ci, en une seule nuit, perdait
neuf millions de livres
… Les plus impatients réalisaient
leurs espérances de succession en donnant à leurs parents, ainsi
qu’on le disait alors,
un coup de pistolet dans un
bouillon
. C’était chose commune pour les grands seigneurs de
vivre aux dépens de leurs vieilles maîtresses, et Tallemant des
Réaux dit, comme une chose toute simple : le comte d’Harcourt
fut longtemps
aux gages
de la femme du chancelier
Séguier ; Richelieu, le modèle du genre, dit Michelet, ne
prenait pas moins de douze louis de chacune de ses maîtresses.
Les plus hauts seigneurs, des prélats même,
avaient des
mignons
comme Henri III, mais ne se
flagellaient plus comme lui en public. Un jour que le roi oublie
son chapeau sur un siège, la boucle de diamants qui ornait le
couvre-chef royal disparaît. Un autre jour, à Saint-Germain, les
vases sacrés de la chapelle royale sont volés par un seigneur de la
cour. Grandes dames et grands seigneurs trichaient au jeu ;
plus d’un gentilhomme fut envoyé aux galères comme faux monnayeur,
etc.
Tous ces grands seigneurs et ces abbés et
évêques
Benoiton
, qui composaient la cour, sous l’ancien
régime, étaient avant tout des mendiants besoigneux
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