Les "Larmes" De Marie-Antoinette
ne vit ni l’avocat demandé ni le commissaire Lemercier. Uniquement l’agent de garde qui vint leur offrir un pot d’eau fraîche avec des sandwiches et qui, naturellement, ne répondit à leurs questions que par un haussement d’épaules et un geste évasif des deux mains.
Ce n’était pas leur première expérience de la captivité. Aldo avait été prisonnier de guerre dans un vieux burg autrichien puis au cours de ses aventures d’assez sordides prisons turques {4} sans compter un puits à Saint-Cloud. Quant à Adalbert, il avait tâté des geôles égyptiennes puis de l’hospitalité musclée d’un shérif américain à Newport {5} . En revanche, c’était la première fois qu’ils partageaient une cellule. Qu’elle soit française et même versaillaise n’arrangeait rien, bien au contraire. D’autant plus qu’ils avaient l’impression d’être abandonnés du monde entier et cela dans leur propre pays. Aldo, en effet, se sentait aussi français qu’Adalbert, sa mère défunte, Isabelle de Roquemaure, fille d’un duc, ayant vu le jour dans un château du Languedoc. Cependant, à mesure que passait le temps, leurs réactions différaient alors que Morosini se calmait jusqu’à rejoindre le flegme britannique, Adalbert ressemblait de plus en plus à un chaudron bouillonnant qui menace de déborder.
Aussi quand, vers cinq heures, leur tourmenteur effectua une majestueuse entrée, se jeta-t-il sur la grille en vociférant :
— Pourquoi mon avocat n’est-il pas encore là ? C’est de l’incarcération arbitraire, tonnerre de Dieu ! Et si vous vous obstinez à nous garder dans ce trou sans faire votre travail proprement, je vais faire tellement de boucan que tout le quartier m’entendra et que…
Il s’interrompit. D’un geste, le commissaire venait d’ordonner à son subordonné d’ouvrir la porte puis lâchait en tournant les talons :
— Vous êtes libres ! Allez-vous-en !
Sans plus se soucier d’eux, il sortit de la salle de détention. Tous deux s’élancèrent à sa suite et le rejoignirent à son bureau où il s’assit devant sa table pour consulter un papier. Morosini alla s’y appuyer des deux poings, se pencha vers lui et proposa :
— Si vous nous expliquiez ? M lle Autié a vu la lumière ?
— Il n’y a rien à expliquer, fit le policier avec une mauvaise grâce quasi palpable. La plainte a été retirée.
— Une intervention divine peut-être ?
— Ça ne vous regarde pas. Et maintenant fichez-moi le camp ! Je vous ai assez vus. On va vous rendre ce qui vous appartient !
— Sans oublier ma voiture, j’espère, grogna Vidal-Pellicorne.
— Je ne vois pas pourquoi nous la garderions. Voilà vos clefs.
Sans songer seulement à ramasser ses lacets de souliers et autres richesses, Adalbert fondit dessus et se rua dehors. Pour revenir quelques secondes plus tard, furibond :
— J’ai deux pneus crevés et une seule roue de secours ! Je veux savoir qui a fait ça ! vociféra-t-il. Passe encore un mais deux ? C’est de la malveillance…
— Manque de chance, hé !
— Et maintenant je fais quoi ? Je la mets sur mon dos pour l’emporter au prochain garage ?
Aldo, qui était allé dans la cour, revint à cet instant :
— Viens, dit-il. Tante Amélie nous a envoyé du secours. On va prévenir le garagiste de l’hôtel : il s’en chargera.
— Il ne fera rien. Je ne suis pas client !
— Mais si, au moins pour ce soir. Tu rentreras demain à Paris tout frais, tout propre…
Résigné, Adalbert suivit son ami. Dans la cour, en effet, la Panhard rutilante de la marquise attendait avec Lucien le chauffeur et Marie-Angéline du Plan-Crépin armé chacun d’un cache-poussière destiné à dissimuler les costumes salis et fripés des deux hommes.
— Angelina, je vous embrasserai quand j’aurai cessé de sentir mauvais, fit Aldo en endossant le manteau avec un soupir de soulagement. Comment êtes-vous ici ?
— Notre marquise m’en voudrait de la priver du plaisir de vous le raconter…
— Vous n’auriez pas un peigne et de l’eau de Cologne ? demanda Adalbert. En dépit de ces cache-misère, on va faire une entrée très remarquée. Il doit bien y avoir un ou deux journalistes qui traînent dans le hall ?
— Rassurez-vous ! On passera par les cuisines…
Une heure plus tard, douchés, rasés et habillés de vêtements empruntés à la garde-robe d’Aldo, les rescapés des geôles versaillaises
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