Les larmes du diable
Guy ? Comment un alchimiste crée-t-il une substance à partir d’une formule ?
— En trouvant la proportion exacte des quatre éléments qui entrent dans sa composition. Terre et air, eau et feu.
— Qui entrent dans la composition de toutes choses ici-bas. Certes, mais ce n’est pas là tâche facile.
— Assurément. S’il n’est pas trop difficile de fabriquer du fer, à partir des minéraux que Dieu a disséminés dans la terre, il est malaisé de fabriquer de l’or, sinon, nous mangerions tous dans de la vaisselle d’or, et ce métal ne vaudrait rien.
— Serait-il facile ou difficile de fabriquer du feu grégeois ?
— Sans la formule, impossible à dire. »
Je me redressai sur mon lit. « Vous avez parlé du fer et de l’or à l’instant. Certaines matières sont communes et faciles à trouver, comme le fer. D’autres, l’or, par exemple, sont fort rares.
— Certes.
— J’ai lu de nombreux ouvrages sur l’histoire des armes à feu en Orient. Nous savons que les Byzantins n’eurent aucune difficulté à trouver les éléments nécessaires pour créer le liquide qui prend feu. Par ailleurs, des substances analogues sont mentionnées par les Romains, qui n’ont cependant pas pu se servir de cette arme. Je pense qu’il doit entrer dans la composition du feu grégeois un élément crucial qu’il est difficile de se procurer. Les Gristwood cherchaient sans doute une substance susceptible de remplacer l’élément manquant. Et c’est ainsi qu’ils sont arrivés jusqu’à cette boisson polonaise qui brûlait sur la table à l’auberge. »
Guy se caressa le menton. « Ainsi, ils l’auraient utilisée pour fabriquer du feu grégeois ?
— Comment savoir ? Peut-être.
— Et d’après ce que vous dites, ils étaient déjà engagés à tramer un complot contre Cromwell avec les coquins qui allaient devenir leurs assassins.
— Oui. Je ne sais pas comment cela s’est fait. Mais, Guy, si je parvenais à trouver un peu du feu grégeois d’origine dans le cimetière de St Bartholomew… »
Il eut une grimace de dégoût. « Profaner des tombes…
— Oui, oui, je sais. Mais cette profanation aura lieu de toute façon. Si je trouvais cette substance et que je vous l’apporte, pourriez-vous l’analyser pour moi, la distiller ou faire ce que vous faites couramment ?
— Je suis apothicaire, pas alchimiste.
— Vous en connaissez aussi long sur leur art que la plupart d’entre eux. »
Il prit une profonde inspiration et croisa les bras. « À quelles fins, Matthew ? demanda-t-il.
— Pour m’aider à comprendre ce qui s’est passé… »
Il m’interrompit vivement : « Matthew, vous rendez-vous compte de ce que vous me demandez ? Vous voulez que j’analyse le feu grégeois pour en donner le secret à Cromwell. » Il arpentait la chambre. Enfin, il se tourna vers moi.
« Si vous trouvez cette maudite substance et que vous me l’apportiez, je l’examinerai. Mais je la détruirai ensuite. Je ne vous donnerai sur sa fabrication aucun indice susceptible d’aider Cromwell. En revanche, si mes recherches font apparaître quoi que ce soit qui puisse vous aider à retrouver ces assassins à l’exclusion de tout autre usage pernicieux, je vous en informerai. Pardonnez-moi, Matthew, je ne suis pas disposé à aller plus loin.
— Soit. Topons là. » Je tendis la main et il la prit, la mine toujours grave.
« Saint Grégoire de Nysse a dit jadis que tous les arts et les sciences ont pour origine la lutte contre la mort. Et c’est bien ainsi. Cet instrument de mort et de destruction est une perversion, une monstruosité. Si vous trouvez cette formule, vous devriez la détruire, pour la sécurité du monde.
— Je suis l’obligé de Cromwell et j’ai un devoir envers mon pays.
— Et quel usage croyez-vous que deux hommes aussi sanguinaires et impitoyables que Cromwell et le roi Henry feraient du feu grégeois ? Il servirait à des fins de destruction et de meurtre, voilà ! s’écria-t-il avec colère. Cette affaire est bien plus grave que celle de Scarnsea, Matthew. Cromwell s’est encore servi de vous. Pas seulement pour traquer un assassin, mais pour l’aider dans une entreprise cruelle, brutale et impie. » Je me mordis les lèvres. « Et Barak, poursuivit-il, comment voit-il les choses ?
— Il est d’une loyauté absolue vis-à-vis de son maître. Je ne lui soufflerai mot de notre conversation. »
Je me laissai retomber sur le lit en soupirant. « Vous avez raison
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