Les larmes du diable
lueur d’une chandelle dont il n’avait guère besoin en plein jour. Une chandelle que je payais. « Vous êtes encore là un dimanche, John ? » m’étonnai-je en cachant mon agacement.
Il me coula un regard de biais. « Je suis en retard, monsieur. »
Je n’eus pas le courage de regarder ses pages d’écriture et, me tournant vers la porte de Godfrey, je demandai : « Messire Wheelwright est-il là ?
— Oui, monsieur. »
Godfrey était tranquillement installé à son bureau. « Tu travailles le dimanche ? » m’étonnai-je. Il me regarda, la mine grave.
« Dieu me pardonnera. Je veux mettre mes affaires en ordre. Le bruit court que je serai radié si je ne présente pas mes excuses au duc. » Il eut un sourire forcé. « Cela va faire un beau scandale. Peut-être nos confrères se demanderont-ils alors qui nous servons, nous autres avocats : Dieu et l’État, ou le duc de Norfolk.
— Beaucoup soulageront leur conscience en disant que c’est une affaire d’incivilité, Godfrey, et non de religion.
— Dans ce cas, ils sont dans l’illusion, et Dieu ne laissera pas leur conscience en paix.
— Que feras-tu si tu quittes le barreau ?
— Je deviendrai prédicateur. Je crois que c’est la voie où Dieu m’appelle.
— Il se peut que nous allions vers des temps difficiles. » Si Cromwell tombe, pensai-je. Si j’échoue. S’il ne met pas la main sur le feu grégeois. J’étais pris dans un tel enchevêtrement d’engagements contradictoires que je me sentis un instant sur le point de défaillir, et je me cramponnai au dossier d’une chaise.
« Tu ne te sens pas bien, Matthew ?
— J’ai beaucoup travaillé.
— En tout cas, tu n’as perdu aucune autre affaire, dit-il. Depuis celle de l’entrepôt.
— Tant mieux. » Je décidai de tenter une dernière fois de lui faire entendre raison. « Godfrey, ne serait-ce pas une grave erreur d’abandonner un métier que tu exerces avec talent depuis tant d’années ? » Et pourtant, je m’en rendis compte en prononçant ces paroles, n’était-ce pas précisément ce que moi aussi je songeais à faire ?
« Parfois, Dieu nous invite à changer de vie.
— Et à affronter de grandes tribulations. » Je renonçai. « Il se peut que je ne revienne pas avant quelques jours », dis-je avant de repartir.
Je retournai dans mon bureau, où Barak parlait à voix basse à Skelly. Il s’informait des bruits qui couraient sur moi, probablement. « Je vais chez lady Honor, annonçai-je.
— Je ferai le trajet avec vous, dit-il. Ensuite, j’irai à la Vieille Barge. »
Nous retournâmes en silence à Chancery Lane. Je fulminais intérieurement. J’avais espéré que Barak me quitterait et me laisserait aller seul chez lady Honor, d’où j’avais compté me rendre ensuite chez Guy. Aujourd’hui, il semblait ne pas vouloir me lâcher d’une semelle.
37
N ous allâmes chercher les chevaux pour gagner la Cité. Barak, morose, n’ouvrit guère la bouche. Lorsque nous passâmes sous la porte de Ludgate, je remarquai une partie plus claire dans le mur, là où il avait été réparé.
« Les pierres de l’ancienne synagogue venaient de là », dis-je pour faire la conversation.
Barak grogna. « Je parie que le gardien a fait des commentaires bien sentis sur les assassins du Christ.
— Je ne m’en souviens pas », répondis-je, bien qu’il eût raison.
Nous passâmes devant St Paul, dont la haute flèche projetait une ombre bienfaisante. Lorsque nous sortîmes à nouveau au soleil, Barak approcha sa monture de la mienne et me glissa : « Regardez discrètement derrière, sans arrêter votre cheval. À côté des éventaires à livres près de St Paul’s Cross. »
En me retournant, je vis Toky appuyé contre une grille, ignorant les mouvements de la foule et tournant vers les passants son visage pâle et ravagé afin de les examiner.
« Je croyais qu’il avait disparu, dis-je. Ne pourrions-nous essayer de l’appréhender ? Ou appeler un constable ?
— Si Toky est là, Wright n’est pas loin, et ils sont sûrement armés. Je n’ai pas envie de me frotter à ces deux-là. Et un brave constable ne pourrait guère leur tenir tête.
— Ils savent beaucoup de choses. Leur capture pourrait apporter la réponse à de nombreuses questions.
— C’est pourquoi les hommes du comte les cherchent dans toute la ville. Le parvis de St Paul est un endroit bien choisi pour voir qui entre dans la Cité ou en sort. Je me demande qui il guette.
—
Weitere Kostenlose Bücher