Les larmes du diable
Nous, probablement.
— Eh bien, il ne nous a pas remarqués. Je sais qui le comte a chargé de les rechercher, et je vais le faire prévenir. » Il secoua la tête avec une mine assez admirative. « Jamais je n’ai vu deux coquins aussi rusés, capables de circuler dans la Cité sans se faire prendre.
— Ils nagent dans les eaux troubles de Londres, et se cachent dans ses repaires de vice.
— On croirait entendre votre ami Godfrey, l’évangéliste ! » Il continua, se frayant un chemin dans la cohue de Cheapside et je le suivis, toujours sur mes gardes, bien que Toky fût loin derrière.
Nous nous séparâmes à Walbrook. Barak partit porter un message à Cromwell, disant à ma grande consternation qu’il reviendrait m’attendre dans une heure chez lady Honor. Il pensait que nous devions rester ensemble si Toky était dans les parages. Je ne pus trouver de parade, bien que cela m’empêchât de me rendre chez Guy. Barak s’éloigna et je poursuivis ma route vers Blue Lion Street.
À la Maison de verre, deux domestiques étaient occupés à laver les vitres avec du vinaigre. Lorsqu’on me dit que lady Honor me recevrait, je confiai Genesis à un garçon d’écurie et on me fit traverser la maison pour me conduire jusqu’à la cour intérieure. Un domestique arrosait les plantes en pots rangées le long des murs. Assise sur un banc, lady Honor le surveillait. Elle portait une robe bleue et ses cheveux blonds, découverts pour une fois, étaient noués en chignon par un ruban de soie. Elle m’accueillit avec le sourire.
« Matthew. Voilà une visite inattendue. »
Je m’inclinai. « Pardonnez-moi de venir sans m’être fait annoncer, mais…
— Vous êtes en mission officielle ?
— Hélas.
— Alors, venez vous asseoir à côté de moi. Edward, cela suffira pour le moment. Vous finirez d’arroser ce soir. » L’homme salua et s’éloigna. Lady Honor regarda sa cour. « Je crois que la chaleur est en train de faire crever mes arbustes. Vous voyez là-bas, j’ai planté de petits grenadiers, mais mes nigauds de domestiques n’y connaissent rien aux plantes, ils les arrosent au mauvais moment, ou trop ou trop peu.
— Tout crève par cette canicule. Les moissons seront mauvaises.
— Ah oui ? dit-elle avec indifférence. Mais vous n’êtes pas venu ici pour que nous parlions jardinage.
— Non. Lady Honor, je dois vous faire une confession. » Je maudis ma maladresse. Je n’aurais pas dû m’excuser de l’interroger car je ne faisais que mon devoir. « J’ai appris pourquoi le duc de Norfolk vous pressait si fort, dis-je tout à trac. J’avais besoin d’élucider la question que vous aviez laissée en suspens lors de notre promenade sur la berge de la Tamise, l’autre jour. J’ai eu un entretien avec Marchamount. »
Je m’attendais à une explosion de colère, mais elle se borna à regarder droit devant elle, le visage impassible. Lorsqu’elle tourna de nouveau son visage vers moi, elle avait un sourire las.
« Après notre conversation, j’ai craint d’avoir des ennuis si vous me dénonciez à Cromwell. Avez-vous interrogé Marchamount en premier lieu pour m’éviter d’avoir à subir les méthodes brutales du comte ?
— Peut-être.
— Vous avez des égards pour moi, peut-être plus que je n’en mérite. J’avais le sentiment que, si Cromwell me faisait avouer par la force les instances insultantes du duc, mon honneur en souffrirait moins. Sotte idée, sans doute.
— Je n’ai pu éviter d’en avoir connaissance, et je regrette de vous avoir infligé ce désagrément.
— Au moins, vous ne colporterez pas l’information, ce que feraient la plupart des gens. Je me trompe ? La nouvelle est délectable, j’en suis consciente.
— Vous savez que j’ai une trop haute opinion de vous pour cela, lady Honor. »
Elle posa un instant sa main sur la mienne. Quand elle la retira, j’eus l’étrange impression de la sentir encore. « Vous êtes par nature un homme d’honneur. » Elle soupira. « J’ai renvoyé Henry à la campagne. Jamais il n’aurait fait son chemin à la cour. J’ai donc pu repousser l’esprit tranquille les avances grossières de ce vieux bouc.
— Je ne me rendais pas compte que le duc vous inspirait pareille inimitié.
— Il n’est pas digne de la position qu’il occupe. Il peut bien être le doyen des pairs du royaume, il n’est pas noble de vieille souche. À la différence des Vaughan », dit-elle en souriant.
Je rassemblai
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