Les larmes du diable
mon courage. « Lady Honor, j’ai une question à vous poser, ce sera la dernière, je vous le promets. Y a-t-il undétail dont vous ne m’auriez pas informé et qui pourrait avoir un rapport, même lointain, avec ma quête des assassins des Gristwood ? »
Elle me regarda, piquée. « Matthew, j’ai déjà prêté serment sur la Bible à ce sujet. Si vous vous rappelez, j’ai juré que le duc ne m’avait aucunement pressée au sujet du feu grégeois. Et j’ai dit la vérité. Il ne m’en a même jamais parlé. Quant à Marchamount, il l’a évoqué seulement pour me mettre en garde contre vous. Je vous le répète, je déplore que ma sotte curiosité m’ait poussée un jour à mettre le nez dans ces papiers.
— Quand j’ai parlé de vous et du duc à Marchamount ce matin, j’ai eu le sentiment qu’il cachait encore quelque chose.
— Si c’est le cas, dit-elle, retrouvant son sourire, je n’y suis pour rien, je le jure. Dois-je aller chercher ma Bible ?
— Non, c’est inutile. Pardonnez-moi.
— Bien volontiers, dit-elle avec un regard indulgent. Par ma foi, vous êtes un inquisiteur fort civil.
— Marchamount ne dirait pas cela.
— Ce faquin qui se donne de grands airs ! dit-elle en regardant ses plantes flétries. Sous ses dehors urbains, c’est un coquin prêt à tout pour accéder à un rang plus élevé. » Elle réprima un petit frisson. « Je vous ai dit que je songeais à me retirer à la campagne, sur mes terres du Lincolnshire. J’en ai assez de la Cité, de Marchamount, du duc et de tout le monde. » Elle eut un bref sourire. « De presque tout le monde.
— Vous me manqueriez. Encore que, moi aussi, j’aie songé à m’établir au calme, à la campagne. »
Elle me regarda, surprise. « Ne vous y ennuieriez-vous pas ?
— Je suis originaire de Lichfield. Mon père était franc-tenancier d’une ferme là-bas. Il est âgé maintenant, et son intendant ne rajeunit pas non plus. La ferme est une dure besogne pour eux. Mais je n’ai jamais eu le talent nécessaire pour devenir fermier, ni le goût, d’ailleurs.
— Ne serait-il pas heureux d’avoir son fils auprès de lui pour ses vieux jours ?
— Je ne sais pas, répondis-je avec un haussement d’épaules. J’ai toujours eu le sentiment qu’il avait honte de moi. Pourtant, quand je vais le voir, il a l’air content. Je n’y vais pas assez souvent. »
Elle garda le silence quelques instants, puis demanda : « La petite Wentworth retourne devant le juge cette semaine, si je ne me trompe ?
— Le jeudi dix. Elle est très malade. Peut-être ne vivra-t-elle pas jusque-là.
— Pauvre Matthew. Comme vous prenez à cœur les malheurs des autres. » Elle posa à nouveau sa main sur la mienne, et cette fois ne la retira pas. Je me tournai vers elle et elle pencha la tête vers moi. Puis elle s’écarta brusquement en entendant un bruit de pas dans la cour. Je vis Barak arriver avec le majordome, le bonnet à la main. Le visage du majordome était impassible, mais Barak souriait d’une oreille à l’autre.
« Je dérange ? » demanda-t-il.
Lady Honor se leva, le visage assombri par la colère. « Connaissez-vous ce rustre, Matthew ?
— C’est Jack Barak, répondis-je en me levant aussi. Mon assistant. Il est au service de lord Cromwell.
— Alors, le comte ferait bien de lui apprendre les bonnes manières. Comment osez-vous faire irruption ainsi ? Ne savez-vous point vous tenir dans la maison d’une dame ? »
Barak rougit et ses yeux étincelèrent. « J’apporte à messire Shardlake un message de lord Cromwell.
— On ne vous a donc jamais appris à vous incliner devant une dame ? Et qu’est-il arrivé à vos cheveux ? Vous avez des poux ? Alors ne les apportez pas chez moi. » Elle parlait d’un ton dur que je ne lui avais jamais entendu. Il est vrai que Barak avait été fort discourtois.
« Je vous demande pardon, lady Honor. Nous ferions mieux de nous retirer. » Je reculai d’un pas, mais ma tête se mit à tourner. Mes jambes devinrent subitement très lourdes et je tombai plutôt que je ne m’assis sur le banc. Aussitôt, lady Honor me dévisagea avec inquiétude.
« Matthew, qu’avez-vous ? »
Je me levai avec effort, malgré le vertige qui me prenait. « Pardonnez-moi, la chaleur…
— Venez à l’intérieur. Vous, dit-elle sèchement à Barak, aidez votre maître. C’est votre faute. »
Barak lui jeta un regard noir, mais, passant le bras autour de mes épaules, il m’aida à gagner
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