Les larmes du diable
posai sur la table et Barak et moi déchiffrâmes son écriture irrégulière. Deux litiges concernant la propriété d’un terrain, un litige sur un testament, et la vente de l’entrepôt du Pélican, près de Salt Wharf.
— C’est quoi, un pélican ? demanda Barak.
— Un oiseau des Indes, qui a sous le bec une grosse poche où il garde le poisson en réserve. À moins que ce ne soient des secrets. » Je regardai par la fenêtre et ajoutai : « Demandez à Bealknap de venir ici, voulez-vous ? Dites-lui discrètement que nous pensons que la victime est Marchamount. » Une idée me traversa l’esprit. « John, dis-je à Skelly, voulez-vous ajouter deux de mes affaires au bas de cette liste. N’importe lesquelles. Choisissez-les au hasard, puis apportez-moi la feuille. »
Skelly, qui était resté bouche bée, hocha la tête et alla dans mon bureau. Une minute, plus tard, Barak revint, accompagné de Bealknap. Les yeux du coquin trahissaient son inquiétude.
« C’est vrai ? Le sergent Marchamount a été assassiné ? Je l’ai redouté en apprenant la nouvelle…
— C’est vrai, Bealknap, mais vous garderez cela pour vous, jevous l’ordonne au nom de Cromwell. Je gage que tous ceux qui ont un lien quelconque avec le feu grégeois sont en grand péril. »
Il agita les mains avec une rage impuissante. « Je vous l’ai répété cent fois, Shardlake, je n’ai rien à voir avec cette affaire. C’est à propos du procès pour le prieuré que sir Richard Rich est intervenu, pour que vos clients se retirent. Cela n’a aucun rapport avec le feu grégeois ! Et moi, je n’ai rien à voir non plus avec ce feu diabolique. Je n’ai été qu’un truchement. » Il était à ce point sous l’emprise de la peur et de l’inquiétude qu’il sautillait sur place. Enfin, j’avais réussi à l’alarmer.
« Vous n’avez soufflé mot à Rich du feu grégeois, j’espère ?
— Pour subir les foudres du comte ? Je ne suis pas fou ! »
Je lui tendis la liste que venait de me rapporter Skelly. « Voici les affaires qui m’ont été retirées récemment. Pouvez-vous me confirmer que ce sont bien celles que Rich m’a fait perdre ? »
Il parcourut la liste, puis secoua la tête. « Je ne sais pas. Sir Richard m’a seulement dit qu’il vous ferait du tort dans vos affaires, en manière d’avertissement. Il ne m’a pas précisé lesquelles il allait vous retirer ! » Il s’interrompit et passa une main dans ses cheveux blonds crêpelés. « Écoutez, si je suis en danger, j’ai besoin de protection, dit-il d’un ton pressant. Je ne veux pas me faire assassiner comme Marchamount !
— Et pourquoi pas ? demanda Barak. Qui vous regretterait ?
— Bealknap, j’ai besoin de voir sir Richard Rich avec cette liste pour savoir quels clients il m’a fait perdre. Cela a un rapport avec l’autre affaire. Savez-vous où il se trouve ?
— Il devrait être à St Paul à midi, pour entendre prêcher l’archevêque Cranmer. C’est lui qui fait les sermons à cette heure-là cette semaine, maintenant que monseigneur Sampson est emprisonné à la Tour. La moitié du Conseil privé sera là.
— J’avais oublié. Barak, allons-y. Je dois lui montrer cette liste. » Je me tournai vers Bealknap. « Merci. Et pour ce qui est de votre sécurité, peut-être seriez-vous bien avisé de vous enfermer dans votre cabinet pendant quelques jours avec votre coffre plein d’or.
— Mais… mais j’ai des affaires à traiter. »
Je haussai les épaules. Bealknap serra les dents puis sortit, claquant la porte derrière lui. Par la fenêtre, nous le vîmes trotter jusque chez lui en jetant à la ronde des regards inquiets. « Je doute que qui que ce soit s’en prenne à lui, dis-je. Il ne sait rien. Pas plus que lady Honor.
— Vous êtes sûr qu’il a dit la vérité ? Qu’il ne sait vraiment rien à propos du feu grégeois ?
— Certain. Il craint tant pour sa peau qu’il aurait réclamé notre protection s’il avait cru risquer le même sort que Marchamount. Allons, venez, Barak. Il faut trouver Rich et s’assurer qu’il a mis cet entrepôt sur la liste.
— Et dans le cas contraire ?
— Nous irons fouiller l’endroit. »
Barak eut un sourire. « Et nous prendrons Toky et Wright par surprise, avec pour une fois l’avantage de notre côté. »
42
C omme nous descendions F leet S treet pour entrer dans la Cité, je remarquai qu’un banc de nuages se déployait, emplissant tout l’horizon à l’ouest.
«
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