Les larmes du diable
visage de Rich avait une expression benoîte. Impossible de dire s’il approuvait ou non le sermon. Je vis Audley se pencher et, avec un sourire narquois, lui glisser une remarqueà l’oreille ; mais Rich se borna à hocher la tête sans changer d’expression.
Barak sortit de sa poche le sceau du comte et me le tendit. « Voilà qui vous permettra de franchir le barrage de serviteurs. » J’opinai. Le cœur battant, j’attendis quelques instants pour reprendre mes esprits avant d’aborder les deux membres du Conseil privé. À mon approche, un des hommes de leur suite se tourna, sur le qui-vive, la main au pommeau de l’épée. Je lui montrai le sceau.
« Je dois parler sur-le-champ à sir Richard. Ordre de lord Cromwell ! »
Rich m’avait vu. Une ombre de contrariété passa sur son visage, vite remplacée par un sourire ironique. Il fit quelques pas vers moi.
« Mais c’est encore notre cher confrère Shardlake ! Morbleu, vous me suivez partout ! Moi qui croyais tout malentendu dissipé depuis mon entrevue avec le comte.
— Il s’agit d’autre chose aujourd’hui, sir Richard. D’une autre affaire du comte dont je dois m’entretenir avec vous.
— Eh bien ? lança-t-il en me regardant avec curiosité.
— Pourrions-nous aller dans un endroit un peu plus tranquille ? »
Il rassembla autour de lui les plis de sa robe, fit signe à ses gens de rester où ils étaient et, d’un mouvement du bras, m’invita à le précéder. Je le conduisis de l’autre côté de la cathédrale, où l’on n’entendait plus le sermon. Barak suivait, à quelques pas derrière nous.
Je sortis la liste de ma poche. « Sir Richard, j’ai besoin de savoir lesquelles de ces affaires vous avez convaincu mes clients de me retirer ? »
Il me fixa de ses yeux gris et froids, aussi insensibles que la mer. « Quel est le rapport avec le comte ?
— Je puis seulement vous dire qu’il s’intéresse à l’une d’entre elles.
— Laquelle ?
— Je ne suis pas autorisé à le révéler. »
Sa bouche dure se crispa. « Un jour, Shardlake… », murmura-t-il. Il me prit la liste des mains et la parcourut. « Première, deuxième et quatrième, dit-il. Ni la troisième, ni la cinquième, ni la sixième. »
La troisième était celle de l’entrepôt. Je scrutai son visage, mais n’y pus rien discerner. Assurément, il eût marqué une pause ou battu un cil s’il avait reconnu Salt Wharf.
Il me rendit la liste d’un geste brusque. « Est-ce là tout ?
— C’est tout. Je vous suis fort obligé, sir Richard.
— Morbleu, cessez donc de me dévisager ainsi ! fit-il avec un rire narquois. Et maintenant, avec votre permission, je retourne écouter le sermon de l’archevêque. » Il pivota sur les talons sans me saluer et plongea à nouveau dans la foule. Barak surgit alors à mon côté.
« Qu’a-t-il dit ?
— Que l’entrepôt n’était pas une des affaires qu’il m’avait prises.
— Le croyez-vous ?
— Il n’a pas hésité une seconde en lisant la liste. Mais c’est un vieux renard… Je ne sais pas, je ne sais pas », dis-je, saisi par le doute.
Barak ne disait rien. Il regardait le bas de la nef. Quand il se retourna, sans hâte, il me souffla : « Wright est ici. Il s’est caché derrière ce pilier. Je ne pense pas qu’il se soit rendu compte que je l’avais vu. Il nous observe. »
Instinctivement, je reculai vers le mur. « Que fait-il ici ?
— Je n’en sais rien. Peut-être est-il encore à nos trousses.
— Ou peut-être est-il là avec Rich. Voyez-vous Toky ?
— Non. » Le visage de Barak se durcit. « C’est le moment ou jamais de l’attraper. Vous avez votre dague ?
— En ce moment, je ne la quitte pas, dis-je en portant la main à ma ceinture.
— Alors vous m’aiderez ? »
Je hochai la tête, bien que mon cœur battît à l’idée d’affronter à nouveau cet être monstrueux, qui avait abattu Marchamount quelques heures plus tôt seulement. Je m’efforçai de ne pas regarder les piliers. « Est-il armé ?
— Il a une épée à la ceinture. Mais même lui n’aurait pas osé venir à St Paul avec une hache. » Barak parlait vite et bas, avec un sourire désinvolte. « Redescendons la nef comme si de rien n’était. Quand nous arriverons à la hauteur du pilier, je me précipiterai d’un côté et vous de l’autre, de façon à lui couper la retraite. » Il me fixa du regard : « Vous en sentez-vous capable ? »
Je hochai la tête à nouveau. Barak redescendit vers
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