Les larmes du diable
par cent vendeurs de pamphlets. Fidèle à sa promesse, Forbizer ferait de ma vie un enfer. Quoi qu’il en soit, si jamais je le rencontre à nouveau, il ne s’en privera pas, poursuivis-je, la mine sombre.
— Ce n’est pas ma faute si les avocats ont de si grandes langues. Et puis, je suis fourbu. Je devrais être au lit.
— Messire, intervint Joseph, puis-je vous demander ce qu’il a voulu dire au juste en parlant de ces appuis politiques ? »
J’hésitai. Cependant, si quelqu’un avait le droit de savoir, c’était bien lui. « Barak et moi avons été mêlés à… à une affaire pour lecompte de Cromwell. Elle était fort importante, et c’est la raison pour laquelle j’ai eu si peu de temps à consacrer à votre nièce. Il a usé de son influence pour obliger Forbizer à accorder un délai à Elizabeth. Mais je vous en prie, gardez cela pour vous.
— Je vous le promets, messire. » Il secoua la tête. « Le comte ! Que Dieu le bénisse, qu’Il bénisse toutes les réformes qu’il a faites. »
Je lui donnai le document. « Tenez, emportez cela à Newgate et Elizabeth sera libérée. Voulez-vous que nous venions avec vous ?
— C’est une chose dont je préfère m’acquitter seul, dit-il en souriant. Vous n’en prendrez pas ombrage, je l’espère ?
— Certes non. »
Barak et moi le regardâmes quitter l’Old Bailey, le précieux document à la main.
« Ainsi, l’affaire est close, dis-je. Que voulez-vous faire à présent ? Moi, je retourne à Lincoln’s Inn, car du travail m’attend. » Je l’observai attentivement, me rendant compte que nos chemins allaient bientôt se séparer ; or, malgré ses mille et une manières agaçantes, et quoi que j’en eusse, il allait me manquer.
« Puis-je vous accompagner, me demanda-t-il non sans hésitation. Je ne peux rien faire avant d’avoir eu des nouvelles du comte.
— À votre aise.
— J’ai hâte d’avoir un message de lui.
— Peut-être une lettre nous attend-elle à Lincoln’s Inn. Nous verrons bien. »
Il me jeta un regard inquisiteur. « Vous vouliez que le comte l’emporte, n’est-ce pas ?
— Je ne souhaitais pas qu’il mette la main sur le feu grégeois, mais je ne souhaite pas non plus qu’il tombe. Norfolk serait un maître bien plus cruel. Je ne suis donc pas comme lady Honor, qui n’a guère de préférence. » Après un instant d’hésitation, je poursuivis. « Je l’ai soupçonnée, vous savez. À l’entrepôt. Quand Norfolk est arrivé, j’ai presque poussé un soupir de soulagement. Je regrette de ne pas avoir trouvé plus tôt la réponse. Cela eût épargné des vies.
— À deux contre toutes les créatures féroces de Norfolk ? C’est miracle que nous soyons encore en vie ! Vous devriez vous attribuer plus de mérite dans cette affaire. Ainsi que pour l’heureuse issue de l’affaire Wentworth.
— Peut-être. »
Un bruit sinistre de chaînes raclant le sol nous fit nous retourner. Des accusés en haillons, sales et tremblants, traversaient le vestibule à la file, conduits par des constables renfrognés. Une bouffée de l’odeur infecte de la prison nous arriva aux narines tandis qu’ils passaient, et la porte du tribunal se referma derrière eux. Nous restâmes quelques instants silencieux. Je pensai à la charrette conduisant les condamnés à la potence, à la justice et à l’injustice, si difficiles à distinguer l’une de l’autre. Puis, tournant les talons, nous sortîmes dans la rue, soulagés de laisser l’Old Bailey derrière nous.
Aucun message de Cromwell ne nous attendait à Lincoln’s Inn. Skelly était en train de recopier des documents, le nez sur ses papiers, mais l’air un peu moins inquiet. Godfrey, lui, était parti. J’allai dans son bureau, où je trouvai une pile de papiers soigneusement rangés sur sa table de travail, avec, sur le dessus, une note de sa main à mon intention.
Je te confie mes affaires. Je sais que les intérêts de mes clients seront en de bonnes mains. Avec certains amis, je vais prêcher la Parole de Dieu dans les villes ; mais je sais que nous devons nous défier des magistrats et je préfère ne pas te dire où pour l’instant.
Ton frère, en justice comme dans le Christ, Godfrey Wheelwright.
Je soupirai. « Il a donc fait son choix », dis-je. J’examinai rapidement les affaires. Tout était en ordre et il m’avait laissé un résumé de ce qu’il y avait à faire pour chacune d’entre elles. Après quoi, je retournai dans mon
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