Les larmes du diable

pris la fuite ? demandai-je.
    — Oui. On a lancé une chasse à l’homme pour le retrouver.
    — Comment se fait-il que vous soyez ici ?
    — Vous avez appelé le constable.
    — De cela, je me rappelle, mais de rien d’autre ensuite.
    — Il vous a trouvés tous inconscients : Barak, la vieille femme et vous. Mais vous vous êtes réveillé quelques instants et m’avez fait mander.
    — Je ne m’en souviens pas. Perdrais-je l’esprit ?
    — Vous retrouverez toutes vos facultés, dit Guy en posant la main sur mon bras. Mais Barak et vous êtes encore faibles. Il faut vous reposer. »
    Le constable prit la parole. « David Needler a été pris, messire. C’est ce que je suis venu vous dire. Il a essayé de sortir de la Cité par Cripplegate à cheval, mais le gardien l’a arrêté. Il n’a pas opposé une trop forte résistance. Il est à Newgate à présent. »
    Barak intervint à son tour : « Sabine et Avice y ont déjà été emmenées, la vieille femme aussi, bien qu’elle se soit sérieusement blessée à la tête en tombant. Les filles se cachaient à l’étage au-dessus, dans leurs chambres. Les constables ont été obligés de les tirer de sous leurs lits. Elles se sont mises à hurler et se sont défendues bec et ongles quand elles ont compris que la partie était perdue. Enfin, elles sont enfermées maintenant. Quoi qu’on ne les ait pas mises dans la basse-fosse, fit-il d’une voix rauque et amère. Elles sont mieux logées qu’Elizabeth. »
    Je regardai par la fenêtre. Dans la lumière terne de la fin d’après-midi, on distinguait vaguement le contour du puits. « Seigneur Jésus, murmurai-je, si Needler et la vieille sorcière étaient parvenus à leurs fins, nous serions là-bas au fond, nous aussi. » Je me tournai vers Joseph. « Je vous demande pardon. C’est votre mère… »
    Il secoua la tête. « Elle a toujours préféré Edwin. Pour nous autres, elle n’avait que mépris.
    — Barak, repris-je, vous devez faire une déposition sous serment ; le magistrat et les constables aussi. Ils doivent comparaître demain devant Forbizer… » Je voulus me lever, mais titubai et retombai sur mon siège. Une pensée me traversa alors l’esprit.
    « Et sir Edwin ?
    — Il est dans sa chambre, de l’autre côté, dit Joseph à mi-voix. Pauvre Edwin, le coup a été rude pour lui. Sa mère blessée, ses filles emprisonnées…
    — Elizabeth est-elle au fait ?
    — Oui. Elle s’est mise à pleurer quand je lui ai raconté. » L’ombre d’un sourire se dessina sur son visage. « Mais elle m’a pris la main quand je m’apprêtais à partir. Je vais m’occuper d’elle désormais, messire. Mais il fallait que je vienne ici. Mon frère a besoin de moi », ajouta-t-il simplement.
    Je le regardai. Je compris alors clairement pourquoi j’avais accepté cette horrible affaire : parce que Joseph était un homme bon, d’une bonté et d’une charité naturelles rares ici-bas.
    « Je vais rejoindre Edwin », annonça-t-il. Le constable leva la main. « Le magistrat est encore avec lui, monsieur. »
    Des pensées décousues me traversaient toujours l’esprit. Je m’exclamai soudain : « Cromwell ! Voilà longtemps que nous n’avons eu de nouvelles de lui. Grey a-t-il envoyé le message ? »
    Barak hocha la tête. « Ceci est arrivé il y a un quart d’heure. » Il sortit de sa poche un billet portant le cachet du comte. Je lus ces mots, écrits de la main précise de Grey : Le comte Cromwell a reçu votre message. Il voit le roi aujourd’hui et vous fera mander si besoin est. Il vous remercie vivement.
    « C’est donc fait », soupirai-je. Soulagé, je m’adossai à mon fauteuil. « Et il nous remercie. »
    Guy s’approcha de moi pour examiner ma bouche et mes yeux, et fit de même avec Barak.
    « Vous êtes tous deux tirés d’affaire, mais vous devriez rentrer vous coucher. Vous serez faibles et fatigués pendant quelques jours encore.
    — Je ne discuterai pas avec vous, messire apothicaire, dit Barak.
    — Bon, maintenant, je dois retourner à ma boutique. J’ai des patients. » Il nous salua, tourna les talons et se dirigea vers la porte, l’allure plus exotique que jamais dans sa longue robe à capuchon, son visage à la patine de bois bruni et ses cheveux grisonnants et bouclés.
    « Merci, mon vieil ami », murmurai-je.
    Il leva une main et sourit avant de disparaître.
    « Il a une mine patibulaire, cet homme, dit le constable. En arrivant ici, j’ai cru que c’était lui