Les larmes du diable
Une corne de licorne. Enfin, c’est ce que prétendait Samuel. Il la sortait pour impressionner les gens, et il mettait un peu de poudre de cette corne dans ses potions. Si je ne parviens pas à louer des chambres, j’en serai réduite à la faire bouillir en guise de soupe. »
Je refermai la porte et examinai le couloir, avec son plancher nu, ses vieux joncs séchés amoncelés dans un coin et le mur sur lequel courait une grosse lézarde. Dame Gristwood suivit la direction de mon regard. « Oui, la maison est en train de s’écrouler. Toute la rue est construite avec la boue de la Tamise. Par ce tempschaud, elle sèche. Peut-être que la maison va me tomber sur la tête. Cela mettrait fin à mes tracas. »
Barak leva les yeux au plafond. Je toussotai : « Pourrions-nous voir l’atelier ? »
Les corps avaient été enlevés, mais le plancher était toujours couvert de sang, dont l’odeur légèrement métallique se mêlait à celle d’œufs pourris que dégage le soufre. Dame Gristwood regarda les taches de sang éparses sur le mur et pâlit.
« Il me faut m’asseoir », dit-elle.
Je m’en voulus de l’avoir fait monter. Sortant une chaise des décombres, je l’aidai à s’asseoir. Au bout d’une minute, un peu de couleur revint à son visage, et elle regarda le coffre défoncé.
« Michael et Samuel l’ont apporté à l’automne dernier. Ils l’ont monté jusqu’ici. Ils ne m’ont pas dit ce qu’il y avait dedans. »
Je regardai les étagères vides : « Et là-dessus ? Savez-vous ce qu’ils y rangeaient ?
— Les poudres de Samuel et ses produits : soufre, chaux et Dieu sait quoi encore. Les odeurs que j’ai dû supporter ! Et les bruits ! » Elle hocha la tête en direction de la cheminée. « Quand il chauffait certaines de ses potions là-dedans, je craignais parfois qu’il ne fasse exploser la maison comme une église de monastère. Ceux qui les ont tués ont emporté aussi tous les flacons de Samuel. Allez savoir pourquoi. Voilà où les ont menés, Michael et lui, les connaissances extraordinaires que Samuel prétendait maîtriser », dit-elle avec lassitude. Soudain, sa voix se brisa. Elle avala sa salive et reprit sa mine sévère. Je l’étudiai. Elle refoulait des émotions violentes. Douleur ? Colère ? Peur ?
« A-t-on dérobé autre chose, à votre connaissance ?
— Non. Mais c’est que je montais ici aussi rarement que possible.
— Vous ne teniez pas en grande estime la pratique de votre beau-frère ?
— Michael et moi étions heureux tous les deux jusqu’au jour où Samuel a proposé que nous achetions ensemble une grande maison lorsque le bail de son ancien atelier est arrivé à échéance. Samuel s’y entendait à purifier la chaux pour les fabricants de poudre à canon, mais, s’il essayait quoi que ce soit de plus ambitieux, il échouait. Comme tous les alchimistes, il avait une trop haute idée de ses compétences. » Elle soupira. « Il y a deux ans, il croyait avoir découvert un moyen de durcir l’étain, d’après une formule qu’il avait trouvée dans l’un de ses grimoires, mais il n’a obtenu aucun résultat et la guilde des potiers d’étain l’a poursuivi.Michael, qui s’en laissait facilement conter, était persuadé qu’un jour, grâce à son frère, ils feraient tous deux fortune. Les dernières semaines, Samuel et lui passaient la moitié de leur temps ici, dans l’atelier. Ils m’avaient dit qu’ils avaient découvert un merveilleux secret. » Son regard se posa à nouveau sur le chambranle taché de sang : « Jusqu’où va la convoitise des hommes…
— Ont-ils jamais prononcé les mots “feu grégeois” ? » J’observai son visage. Elle hésita avant de répondre.
« Pas devant moi. Comme je vous l’ai dit, je ne m’intéressais pas à ce qu’ils faisaient ici. » Elle se dandina sur sa chaise, mal à l’aise.
« Vous avez évoqué des expériences auxquelles ils se livraient parfois dans la cour. Avaient-ils un appareil, une machine assez volumineuse, avec des cuves et des tuyaux ? Avez-vous jamais vu quelque chose d’approchant ?
— Non, monsieur. Je l’aurais remarqué. Tout ce qu’ils ont jamais emporté dans la cour, c’étaient des flacons de liquides ou de poudres. Ne me dites pas que c’est pas pour chercher cela que les hommes du comte ont mis ma maison sens dessus dessous. Je croyais qu’ils étaient en quête de papiers.
— En effet », dis-je benoîtement. Mais ses yeux s’étaient plissés
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